Le prix de l'indépendance
ouailles.
Elle lut la page puis redressa la tête, arquant un sourcil.
— C’est…
Elle relut le feuillet, son front s’assombrissant progressivement. Puis elle le regarda à nouveau, toute pâle.
— Ce n’est pas la même date.
Il sentit la tension qui l’oppressait depuis les dernières vingt-quatre heures se relâcher légèrement. Il n’était donc pas devenu fou. Il tendit la main et elle lui rendit la copie de la coupure de La Gazette de Wilmington ; le faire-part de décès des Fraser de Fraser’s Ridge.
— Il n’y a que la date qui ait changé, reprit-il. Le texte me semble le même. Il est tel que tu t’en souviens ?
Des années plus tôt, elle avait découvert la même information alors qu’elle effectuait des recherches sur le passé de sa famille. C’était sans doute ce qui l’avait incitée à traverser les pierres, et lui à la suivre. Ce petit bout de papier a tout changé, pensa-t-elle. Merci, Robert Frost.
Elle se serra contre lui et ils le relurent ensemble. Une fois, deux fois, une troisième pour faire bonne mesure. Puis elle hocha la tête.
— Oui, il n’y a que la date qui n’est plus la même, dit-elle, le souffle court.
— Quand j’ai commencé à me poser des questions… Il fallait d’abord que je vérifie avant de t’en parler. Je devais levoir de mes propres yeux parce que la coupure de presse que j’avais lue dans un livre… ce ne pouvait être vrai.
Elle acquiesça, toujours aussi pâle.
— Tu crois que si je vais aux archives à Boston, là où j’avais trouvé une reproduction du journal, la date aura changé également ?
— Oui, j’en suis certain.
Elle resta silencieuse un long moment, fixant le papier. Puis elle releva les yeux vers lui.
— Tu as dit tout à l’heure : « Quand j’ai commencé à me poser des questions… » Qu’est-ce qui t’a mis la puce à l’oreille ?
— Ta mère.
Cela s’était passé quelques mois avant qu’ils ne quittent Fraser’s Ridge. Une nuit qu’il ne pouvait trouver le sommeil, il était sorti et s’était promené dans la forêt, marchant sans but jusqu’à ce qu’il tombe sur Claire agenouillée dans une combe remplie de fleurs blanches qui formaient comme une brume autour d’elle.
Il s’était assis et l’avait observée couper des tiges et cueillir des feuilles qu’elle laissait tomber dans son panier. Elle ne touchait pas aux fleurs mais tirait sur quelque chose qui poussait sous les pétales.
Au bout d’un moment, elle lui expliqua :
— Il faut les cueillir de nuit, de préférence quand il n’y a pas de lune.
— Je n’aurais jamais pensé que…
Il s’interrompit brusquement.
— Tu n’aurais jamais pensé que je m’adonnais à ce genre de superstitions ? Attends un peu, mon garçon. Quand tu auras vécu aussi longtemps que moi, tu changeras peut-être d’avis. Quant à ça…
Elle avança la main, ombre floue dans l’obscurité, et coupa une tige d’un petit geste sec. Un puissant arôme âcre s’éleva soudain, recouvrant le parfum plus doux des fleurs.
— Les insectes pondent leurs œufs sur certaines plantes. Pour les repousser, elles sécrètent des substances odorantes etplus la nécessité de les refouler se fait sentir, plus ces sécrétions insecticides sont concentrées. Il se trouve que ces substances ont également de puissantes vertus médicinales.
Elle passa une tige duveteuse sous le nez de Roger, poursuivit :
— Or, ce qui dérange particulièrement cette espèce de plante, ce sont les larves de phalènes.
— J’en déduis donc qu’elle sécrète davantage de substance tard la nuit car c’est à ce moment que les chenilles se nourrissent ?
— Exactement.
Elle déposa la tige dans son panier dans un froissement de mousseline puis se pencha à nouveau sur sa tâche.
— D’un autre côté, les phalènes fertilisent également certaines plantes. Ces dernières, naturellement…
— … fleurissent de nuit.
— Toutefois, la plupart des plantes sont dérangées par les insectes diurnes. Elles commencent donc à sécréter leur substance à l’aube. Sa concentration s’élève au fil du jour mais, quand le soleil devient trop chaud, certaines des huiles s’évaporent et la plante cesse de les produire. C’est pourquoi on cueille la plupart des espèces très aromatiques en fin de matinée. Le chaman et l’herboriste enseignent donc à leurs élèves de cueillir telle plante par les nuits sans lune et telle autre à midi… d’où
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