Le prix de l'indépendance
leur état normal. Celui-ci baissa la tête et chargea.
Roger bondit sur le côté et se jeta à plat ventre au pied du rocher, tentant de se coller le plus possible contre sa base afin de ne pas être piétiné. Le cerf s’arrêta à quelques mètres, soufflant bruyamment et arrachant la bruyère avec ses bois. Puis il entendit son rival un peu plus bas et redressa brusquement la tête.
Un second brame retentit en contrebas. Le nouveau cerf fit demi-tour, bondit par-dessus le sentier et dévala la pente dans un fracas de branches brisées et d’éboulis de cailloux.
Roger se releva, l’adrénaline coulant dans ses veines comme du mercure. Il ne s’était pas rendu compte que les cerfs rouges étaient en pleine activité prénuptiale, autrement il n’aurait pas perdu de temps à méditer sur le passé. Il fallait retrouver Jem au plus tôt avant qu’il ne tombe nez à nez avec l’une de ces bêtes.
Il entendait l’entrechoc des bois et les râles des deux mâles un peu plus bas, se battant pour le contrôle du harpail bien que les biches ne soient visibles nulle part.
— JEM ! hurla-t-il. Jem, où es-tu ? Réponds-moi tout de suite !
— Je suis là, papa.
La voix tremblotante venait d’au-dessus de lui. Il pivota sur ses talons et découvrit son fils assis sur le Bond du Tonneau, serrant son filet à provisions contre lui.
— Descends de là !
Le soulagement l’emporta toutefois sur l’irritation. Il tendit les mains et le garçon se laissa glisser le long de la roche,atterrissant lourdement dans ses bras. Roger le déposa à terre avec un grognement d’effort puis ramassa le filet. Outre la limonade et le pain, il contenait des pommes, un gros morceau de fromage et un paquet de biscuits au chocolat.
— Tu projetais de rester ici un long moment ? demanda-t-il.
Le gamin rougit et détourna les yeux.
Roger regarda autour d’eux.
— Elle est par ici ? La grotte de ton grand-père ?
Il ne voyait rien. Le versant n’était qu’un amas de rocaille et de bruyères parsemé d’ajoncs avec, ici et là, un sorbier ou un aulne.
Jemmy montra du doigt un point plus haut sur la colline.
— Elle est juste là. Tu vois cet arbre tout rabougri et penché ?
Effectivement, Roger aperçut un sorbier au tronc noueux. Existait-il déjà du temps de Jamie ? Toutefois, il ne distinguait toujours pas de grotte. Plus bas, les bruits de combat avaient cessé. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule au cas où le vaincu remonterait par là mais ne vit rien.
— Montre-moi.
Jem, qui avait paru profondément mal à l’aise, se détendit et commença à escalader la pente, Roger sur les talons.
On pouvait se tenir à quelques pas de la grotte sans jamais deviner son existence. Son entrée étroite était cachée par un affleurement de roche et un ajonc touffu. Il fallait se trouver juste devant pour la voir.
Un souffle frais et humide s’en échappait. Roger s’agenouilla pour regarder à l’intérieur. On n’y voyait pas à plus d’un mètre et elle n’était guère accueillante.
— Il doit faire froid pour dormir là-dedans.
Il indiqua à Jem une pierre non loin.
— Tu ne veux pas t’asseoir et me raconter ce qui s’est passé à l’école ?
L’enfant déglutit, se balançant d’un pied sur l’autre.
— Non.
— Assieds-toi.
Il n’avait pas haussé la voix mais, à son ton, il était clair qu’il entendait être obéi. Jem recula d’un pas et s’adossa à la roche. Il refusait de relever les yeux.
— J’ai reçu des coups de ceinture.
— Ah ? fit Roger d’un ton neutre. Oui, ça fait mal. Ça m’est arrivé une ou deux fois quand j’étais à l’école. Moi non plus, je n’ai pas aimé.
Jem redressa la tête en écarquillant les yeux.
— C’est vrai ? Qu’est-ce que tu avais fait ?
— Je m’étais bagarré.
Ce n’était pas un bon exemple à donner à son fils mais c’était la vérité. Il lui demanda :
— C’est ce qui s’est passé aujourd’hui ?
Jem semblait indemne mais, quand il tourna la tête, Roger remarqua qu’il avait une oreille rouge vif, le lobe presque violet. Il répéta calmement :
— Que s’est-il passé ?
— Jacky McEnroe a dit que si tu apprenais que j’avais reçu une correction à l’école, tu m’en donnerais une autre une fois rentré à la maison.
Il regarda son père droit dans les yeux.
— C’est ce que tu vas faire ?
— Je n’en sais rien. J’espère que ce ne sera pas nécessaire.
Il lui avait
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