Le prix de l'indépendance
Elle le poussa doucement et sentit l’air glisser sur son visage tandis que le train s’enfonçait en silence dans les entrailles de la terre.
Elle devait aller lentement. Le voyant projetait une lueur rassurante sur ses mains mais ne perçait pas les ténèbres devant elle. Elle ignorait où se trouvaient les virages et quel était leur degré. En outre, elle ne tenait pas à arriver trop rapidement au bout et risquer de dérailler. Elle avait l’impression d’avancer à une allure de tortue mais c’était toujours mieux que de marchersur plus d’un kilomètre dans le noir absolu en tâtant des parois parcourues de câbles à haute tension.
Cela arriva brusquement. L’espace d’une fraction de seconde, elle crut qu’elle avait été électrocutée. Un son qui n’en était pas un vibrait dans toutes les parcelles de son corps, tirant sur tous ses nerfs, blanchissant sa vision. Puis sa main frôla de la pierre et elle se rendit compte qu’elle était tombée de côté et que la moitié de son corps pendait hors de la cabine.
A moitié étourdie, elle parvint à agripper un coin du tableau de bord et à se hisser à l’intérieur. Elle éteignit le moteur d’une main tremblante et, se laissant tomber sur le plancher, se roula en boule, les genoux serrés contre sa poitrine.
— Oh, mon Dieu, haleta-t-elle. Oh, mon Dieu…
Elle le sentait encore, là, quelque part. Le bruit avait disparu mais sa source n’était pas loin et elle ne pouvait cesser de trembler.
Elle resta ainsi un long moment, la tête entre les genoux, jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau capable de penser de manière rationnelle.
Elle ne pouvait s’être trompée. Elle avait traversé le temps deux fois et savait ce que l’on ressentait. Cette fois, le choc avait été moindre. Sa peau la picotait, ses nerfs étaient à vif et ses oreilles bourdonnaient comme si elle avait enfoncé la tête dans un essaim de frelons, mais elle était encore d’une seule pièce. Elle n’avait pas cette sensation atroce d’avoir été démembrée et retournée comme un gant.
Une horrible angoisse la saisit. Elle se redressa brusquement et s’accrocha au tableau de bord. Avait-elle sauté ? Etait-elle… ailleurs ? Dans un autre temps ? Toutefois, le métal était frais et solide sous ses paumes. L’odeur de pierre humide et d’isolant de câble était la même.
Elle appuya sur le démarreur pour se rassurer. Le voyant s’alluma et le train repartit avec un bond en avant.
Elle ne pouvait avoir sauté dans le passé. De petits objets en contact direct avec le voyageur l’accompagnaient généralement dans son déplacement mais une locomotive avec ses rails ? C’était un peu exagéré. Qui plus est, si elle avait bondi plus de vingt-cinq ans en arrière, le tunnel n’existerait pas. Elle seraitprise dans la roche. Elle sentit la bile lui remonter dans la gorge et vomit.
La sensation commençait à s’estomper. La chose qui l’avait provoquée… quelle qu’elle soit… était à présent derrière elle. Elle s’essuya la bouche sur le dos de la main. Il y avait intérêt à ce qu’il y ait une autre porte au bout de ce tunnel car pour rien au monde elle ne ferait demi-tour.
Il y en avait bien une. Une simple porte industrielle en métal, tout ce qu’il y avait d’ordinaire. Avec un cadenas non fermé pendant à un moraillon. Une forte odeur de graisse en émanait. Quelqu’un avait huilé les gonds récemment. Elle appuya sur la poignée qui céda sans difficulté. Elle se sentit soudain comme Alice après être tombée dans le trou du lapin blanc. Une Alice complètement folle.
Un escalier métallique s’élevait de l’autre côté, sous un éclairage jaune sale. En haut, une nouvelle porte en métal. De l’autre côté, elle entendit le grondement sourd des grues en opération.
Elle hésita, le souffle court. Qu’allait-elle trouver ? Elle était bien arrivée au poste de travail à l’intérieur du barrage, cela elle le savait, mais serait-on jeudi ? Ce même jeudi où elle avait été piégée dans le tunnel ?
Elle serra les dents et ouvrit la porte. Rob Cameron l’attendait, adossé au mur et fumant une cigarette. Il lui adressa un grand sourire, jeta son mégot et l’écrasa du bout du pied.
— Je savais bien que tu y arriverais, ma cocotte.
De l’autre côté de la salle, Andy et Craig interrompirent leur travail et applaudirent.
— J’vous offre une bière après le boulot, ma fille ! lança Andy.
—
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