Le prix de l'indépendance

la lance à travers la vitre. A quoi pensais-tu donc, Roger ?
    — En toute sincérité, je pensais à ton cul. Il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’elle la lancerait. Ni même qu’elle pouvait la lancer.
    — Tu lui as demandé pourquoi elle l’avait fait ?
    Il marqua un temps d’arrêt, déconcerté.
    — Je n’ai pas pensé qu’elle pouvait avoir une raison, avoua-t-il. Quand je l’ai cueillie sur la table, elle était sur le point de plonger par la fenêtre tête la première. J’ai eu tellement peur que je n’ai pensé à rien d’autre, à part lui donner une tape sur les fesses.
    — Je ne crois pas qu’elle ferait une chose pareille sans raison.
    Elle était en train d’ajuster ses seins dans son soutien-gorge, une vision qui le chavirait en toutes circonstances.
    Ce ne fut que plus tard dans la cuisine, alors qu’ils se préparaient un dîner tardif, qu’il lui demanda à nouveau comment s’était passée sa journée.
    — Ça a été, répondit-elle sur un ton faussement détaché.
    Il ne la crut pas mais comprit qu’il était préférable de ne pas insister. Il demanda plutôt :
    — Pour les grandes occasions ?
    Elle sourit.
    — Tu sais. Pour toi.
    — Pour moi ?
    — Oui, toi et ta passion pour les dessous en dentelles.
    — Quoi, tu veux dire que tu ne portes des culottes que pour…
    — Pour que tu me les enlèves, bêta.
    A ce stade, il était impossible de dire où la conversation aurait pu les emmener si elle n’avait pas été interrompue par un vagissement sonore à l’étage. Brianna disparut rapidement vers l’escalier, le laissant seul pour méditer sur cette révélation.
    Les haricots étaient prêts et le bacon frit quand elle redescendit, l’air soucieux. Il l’interrogea du regard.
    — Un cauchemar, répondit-elle. Toujours le même.
    — Le vilain monstre qui cherche à entrer par sa fenêtre ?
    Elle acquiesça et prit le plat qu’il lui tendait. Elle marqua une pause avant de se servir.
    — Je lui ai demandé pourquoi elle avait lancé la bouteille.
    — Et ?
    — Elle m’a dit qu’elle l’avait vu devant la cuisine.
    — Qui ? Le…
    — Le Nuckelavee.

    Le lendemain matin, le broch était exactement tel qu’il l’avait vu la dernière fois. Sombre. Silencieux hormis pour les bruissements d’ailes des pigeons. Il avait jeté le papier journal empestant le poisson. Il n’y avait pas de nouveaux détritus.
    Il referma la porte. La prochaine fois qu’il passerait devant la grande quincaillerie, il achèterait de nouveaux gonds et un verrou.
    Mandy avait-elle vraiment vu quelqu’un ? Et si oui, était-ce le même vagabond qui avait effrayé Jem ? L’idée que quelqu’un rôde dans les parages, espionnant sa famille, lui était intolérable. Il resta un moment immobile, examinant la maison et le domaine, cherchant des traces de l’intrus. Où un homme pouvait-il se cacher ? Il avait déjà fouillé la grange et les dépendances.
    La grotte de Dunbonnet ? Cette idée, accompagnée du souvenir de Jem debout devant l’ouverture, lui glaça le sang. Il en aurait bientôt le cœur net. Après un dernier regard vers lacour en contrebas où Annie MacDonald et Mandy étendaient paisiblement le linge, il se mit en route.
    Cette fois-ci, il tendit l’oreille. Il entendit l’écho de brames et aperçut une petite harde de biches au loin mais, heureusement, ne croisa aucun mâle en mal d’amour. Pas de vagabond non plus.
    Bien qu’il y soit allé la veille, il eut du mal à retrouver la grotte. Quand ce fut enfin le cas, il se tint devant l’entrée et cria pour se rassurer :
    — Il y a quelqu’un ?
    Pas de réponse.
    Il écarta les ajoncs, se tenant sur le côté au cas où le vagabond se tiendrait prêt à bondir. Toutefois, dès que le souffle humide de la grotte caressa son visage, il sut qu’elle était vide.
    Il passa néanmoins la tête à l’intérieur puis se laissa glisser dans la grotte. Elle était relativement sèche pour les Highlands mais froide comme une tombe. Il fallait être aussi coriace qu’un Highlander pour y survivre ; n’importe qui d’autre aurait rapidement été emporté par une pneumonie.
    En dépit du froid, il y resta quelques minutes, essayant d’imaginer son beau-père vivant ici. Il y régnait une étrange paix. Il n’y sentait aucune menace. De fait, il se sentait presque… bienvenu ; une sensation qui hérissa les poils sur ses avant-bras.
    — Mon Dieu, veillez sur eux, murmura-t-il.
    Quand il sortit, la