Le prix de l'indépendance
William plus doucement. On ne peut pas être bien loin.
Il fit tourner son cheval, décrivant ce qu’il espérait être un grand demi-cercle afin de croiser à nouveau la route. Le sol était humide, parsemé de hautes touffes d’herbe, mais pas tourbeux pour autant. Les sabots du hongre laissaient de profondes empreintes rondes et soulevaient des mottes d’une terre glaise qui adhérait à ses jarrets, à ses flancs et aux bottes de William.
Il avait pris la direction du nord-ouest. Il lança d’instinct un regard vers le ciel mais aucune aide ne lui viendrait de là. La grisaille uniforme était en train de changer avec, ici et là, un nuage plus ventru et plus sombre perçant le plafond bas. Un lointain grondement retentit, le faisant pester à nouveau.
Le carillon de sa montre de gousset le rassura quelque peu. Ne voulant pas risquer de la faire tomber dans la boue, il arrêta son cheval avant de la sortir de sa poche. Il était trois heures de l’après-midi. Il annonça à sa monture sur un ton encourageant :
— Ce n’est pas si mal, nous pourrons profiter de la lumière du jour encore un bon moment.
Naturellement, c’était une estimation très relative compte tenu des conditions atmosphériques.
Il examina le rassemblement de nuages, calcula le temps qu’il lui restait. Cela ne faisait aucun doute, il allait pleuvoir sous peu. Ce ne serait pas la première fois que son cheval et lui recevraient une bonne saucée. Il mit pied à terre, déplia la toile du sac de couchage de son équipement militaire, la drapa autour de ses épaules, en rabattit un pan par-dessus sa tête, puis remonta en selle et repartit en quête de la route disparue.
Avec les premières gouttes, une puissante odeur s’éleva de la terre, riche, verte et féconde… comme si le marais s’étirait après un long sommeil, ouvrant voluptueusement son corps au ciel telle une putain de luxe déployant sa chevelure parfumée.
William porta machinalement la main à sa poche, voulant consigner cette image poétique dans la marge de son livre puis se reprit en se sermonnant.
Il n’était pas franchement inquiet. Comme il l’avait dit au capitaine Richardson, il était entré et sorti du Great Dismal à de nombreuses reprises. Certes, il n’y était jamais venu seul, mais avec son père, au sein d’un groupe de chasseurs ou avec des amis indiens de lord John. Et c’était déjà loin. Mais…
— Merde !
Il avait engagé son cheval dans ce qu’il avait cru être un des fourrés bordant la route sauf que ce prétendu fourré ne finissait pas, formant un dense réseau impénétrable de troncs de genévriers bruns et velus aussi aromatiques qu’un verre de gin hollandais. Il n’y avait même pas assez de place pour faire demi-tour. Les empreintes des sabots de sa monture se remplissaient lentement d’eau, ce qui était mauvais signe. Ce n’était pas de l’eau de pluie. Le sol était mouillé, très mouillé. Il entendait le bruit de ventouse chaque fois que les jambes arrière du cheval s’enfonçaient dans la tourbe et, par réflexe, se penchait en avant en enfonçant ses genoux dans les flancs du hongre.
Ces signes contradictoires désorientèrent le cheval qui trébucha, se redressa, puis son arrière-train s’affaissa brusquement, glissant dans la boue. Il se cabra avec un hennissement de frayeur. Surpris, William bascula par-dessus son encolure, fit la culbute et atterrit par terre.
Il se releva aussitôt d’un bond, terrifié à l’idée d’être aspiré dans une de ces fondrières tremblotantes qui parsemaient le grand marais. Il avait vu un jour le squelette d’un cerf pris dans l’une d’elles. On n’en apercevait plus que le crâne surmonté de bois, penché d’un côté, ses longues dents jaunes exposées dans un rictus qui ressemblait à un long cri d’agonie.
Il pataugea à toute vitesse vers un monticule couvert d’herbes, s’y percha et resta accroupi un instant tel un crapaud, le cœur battant. Son cheval… était-il pris au piège ?
Le hongre affolé se débattait, projetant des gerbes d’eau brunâtre autour de lui, hennissant de panique.
William se retint à un bouquet d’ajoncs et mit prudemment un pied dans l’eau. Etait-ce une tourbière ou une simple mare ? Sa botte s’enfonça, s’enfonça… Il retira son pied qui vint avec un plop . Il fit une nouvelle tentative. Oui, il y avait bien un fond. Il avança l’autre pied et se tint un instant les bras écartés, cherchant
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