Le prix de l'indépendance
son équilibre.
Il rejoignit son cheval, récupéra la toile du sac de couchage qui s’était libérée dans sa chute et la jeta sur la tête du hongre en lui cachant les yeux. C’était ce qu’il fallait faire lorsqu’un cheval était trop effrayé pour sortir d’un bâtiment en flammes. Son père le lui avait montré à Mount Josiah un jour que la foudre était tombée sur la grange.
L’opération sembla fonctionner. Le cheval agitait la tête d’avant en arrière mais avait cessé de se débattre. William l’attrapa par la bride et lui souffla dans les naseaux, lui murmurant des paroles apaisantes.
Le hongre s’ébroua mais paraissait s’être calmé. Il leva haut la tête, l’abaissa sur son poitrail et, dans le même mouvement, se hissa hors de la mare. Il s’ébroua avec ardeur, projetant de la boue à plusieurs mètres à la ronde.
William était trop soulagé pour s’en soucier. Il saisit un coin de la toile et l’écarta, puis il reprit les rênes.
— Parfait, sortons d’ici.
Le cheval ne l’écoutait pas. Il venait de redresser brusquement la tête.
— Qu’est-ce que…
Les grands naseaux se dilatèrent et, avec un grognement explosif, le cheval partit au grand galop, lui arrachant les rênes des mains et le faisant à nouveau tomber à la renverse dans la mare.
— Saloperie de canasson ! Qu’est-ce qui lui prend…
William s’interrompit net et s’accroupit dans la boue. Une longue forme grise venait de filer quelques mètres devant lui.
Il chercha à la suivre du regard mais elle avait déjà disparu, poursuivant en silence le cheval affolé dont il percevait le galop au loin, ponctué du fracas de buissons écrasés ou d’une pièce de son équipement tombant à terre.
William resta immobile. Il avait entendu dire que les couguars chassaient parfois en couple.
Il tourna lentement la tête d’un côté puis de l’autre, osant à peine respirer de peur d’attirer l’attention de tout ce qui pouvait être tapi dans l’étroit enchevêtrement de copalmes et de broussailles derrière lui. Aucun bruit, hormis le clapotis insistant de la pluie.
Une aigrette blanche prit son envol de l’autre côté de la mare et son cœur manqua s’arrêter. Il retint son souffle, tendit l’oreille puis, comme il ne se passait rien, se releva lentement, les pans de sa veste dégoulinante collant à ses cuisses.
Il était dans une tourbière. Il sentait une végétation spongieuse sous ses semelles. L’eau lui arrivait au-dessus du genou ; il ne s’enfonçait pas mais ne pouvait soulever les jambes. Il dut sortir un pied de sa botte, l’autre, puis tirer sur ses bottes pour les arracher au bourbier et patauger dans ses bas jusqu’à un terrain surélevé.
Réfugié sur un tronc couché à moitié pourri, il s’assit pour vider l’eau de ses bottes avant de les renfiler et de faire le point.
Il était perdu. Dans un marécage connu pour avoir englouti bon nombre de personnes, tant des Indiens que des Blancs. A pied, sans nourriture, sans feu, sans autre abri que la mince toile de son sac de couchage militaire : une simple grande poche qu’il était censé bourrer de paille ou d’herbes sèches, deux matériaux introuvables dans les parages. Il ne possédait que le contenu de ses poches : un couteau pliant, un crayon, un morceau de pain détrempé et un autre de fromage, un mouchoir crasseux, quelques pièces, sa montre et son livre, ce dernier sans doute également trempé. Il plongea une main dans sa poche et découvrit que la montre s’était arrêtée et que le livre avait disparu.
Il jura avec force, ce qui le soulagea un peu. La pluie tombait plus dru, ce qui n’avait guère d’importance vu son état. Le pou dans ses culottes, découvrant son habitat inondé, se mit en quête de quartiers plus secs.
Marmonnant un torrent de blasphèmes, le sac en toile sur la tête, il partit en boitillant et en se grattant dans la direction qu’avait prise son cheval.
Il ne retrouva jamais sa monture. Soit le couguar l’avait tuée, soit elle s’en était sortie et errait dans le marécage. Il retrouva néanmoins deux objets tombés de sa selle : un petit paquet paraffiné contenant du tabac et une poêle à frire. Ni l’un ni l’autre ne lui étaient utiles dans l’immédiat mais il répugnait à se départir de ces derniers vestiges de civilisation.
Trempé jusqu’aux os, grelottant, il se glissa entre les racines d’un copalme et observa l’orage déchirer le ciel
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