Le prix de l'indépendance
qu’il ne l’avait imaginé. Des cyprès géants s’avançaient dans l’eau parmi des souches décolorées par le soleil. La rive était bordée d’une ligne sombre de tupelos, d’aulnes et de viornes. L’eau brune semblait s’étirer sur des kilomètres.
William se passa la langue sur les lèvres et prit un peu d’eau dans sa main en coupe. Il avala une gorgée avec prudence d’abord, puis plus avidement. Elle était fraîche et légèrement amère.
Il passa une main mouillée sur son visage, frissonna sous l’effet de l’eau froide. Il rassembla ses forces et continua d’avancer, sentant le sol s’incliner progressivement sous ses pieds. Il ne s’arrêta qu’une fois la végétation dense du marais derrière lui.
Le lac Drummond devait son nom à l’un des premiers gouverneurs de la Caroline du Nord, William Drummond. Ce dernier était parti chasser dans le marais avec un groupe d’amis. Il avait réapparu une semaine plus tard, unique survivant de l’expédition, à moitié mort de faim et de fièvre mais avec la nouvelle qu’il existait un lac immense au cœur du Great Dismal.
William examina le paysage. Il devait sans doute s’estimer heureux : il ne s’était pas encore fait dévorer par une bête féroce et était parvenu jusqu’au lac. De quel côté se trouvait Dismal Town ?
Il scruta le rivage à la recherche d’une fumée de cheminée ou d’une percée dans la végétation indiquant une présence humaine. Rien.
Il fouilla dans sa poche et en sortit une pièce de six pence. Il l’envoya en l’air, la rattrapa maladroitement dans sa main engourdie. Pile. A gauche, donc. Il se remit en route d’un pas plus résolu.
Son pied heurta quelque chose et il baissa les yeux juste à temps pour voir la gueule blanche d’un mocassin qui se dirigeait vers lui percer la surface. Par pur réflexe, il leva le genou et les crocs du serpent se plantèrent dans le cuir de sa botte. Il poussa un cri et agita violemment la jambe jusqu’à ce que le reptile lâche prise et aille voler un peu plus loin.
Le mocassin retomba dans une gerbe d’eau. Presque aussitôt, il tourna sur lui-même et revint à la charge, rapide comme l’éclair.
William arracha la poêle à frire de sa ceinture, cueillit le serpent et le projeta au loin de toutes ses forces. Sans plus attendre, il bondit jusqu’à la rive.
Il se réfugia dans un taillis de gommiers et de genévriers, hors d’haleine. Le répit fut de courte durée. Le serpent ondula vers la berge et rampa dans sa direction sur le sol moussu, ses écailles brunes lançant des reflets cuivrés.
William prit ses jambes à son cou. Il s’élança droit devant lui, les pieds s’enfonçant dans la boue, se cognant aux troncs d’arbre, le visage giflé par les branches, se prenant les jambes dans les buissons de houx et les viornes. Il courait sans unregard en arrière mais à l’aveuglette si bien qu’il percuta de plein fouet l’homme qui se trouvait sur son chemin.
L’homme poussa un cri et tomba à la renverse, William atterrissant à plat ventre sur lui. En se redressant, il découvrit le visage d’un Indien abasourdi. Il n’eut pas le temps de s’excuser : une main lui agrippait le bras et le hissait sur ses pieds.
C’était un autre Indien, de toute évidence en colère, qui lui posa une question inintelligible.
Il chercha désespérément un terme approprié dans son maigre vocabulaire iroquois, ne trouva rien. Alors, pointant le doigt vers le lac, il haleta : « Serpent ! » Les Indiens le comprirent car ils se tournèrent dans la direction qu’il indiquait avec un air méfiant. Comme pour corroborer ses dires, le mocassin tenace apparut au même moment, rampant entre les racines d’un copalme.
Les Indiens lâchèrent une exclamation. L’un d’eux saisit un gourdin, tenta de frapper le reptile et le rata. Le serpent se dressa aussitôt et plongea vers lui. Il le manqua à son tour mais de très peu. L’Indien fit un bond en arrière en lâchant son arme.
Avec un grognement agacé, son compagnon prit son propre gourdin et décrivit un cercle prudent autour du mocassin. Le serpent, enragé, pivota sur ses anneaux en sifflant puis se jeta sur le pied de l’intrus. Celui-ci sauta de côté avec un cri sans toutefois lâcher son arme.
Entre-temps, soulagé de ne plus être la cible de la mauvaise humeur du reptile, William s’était reculé de quelques pas. En voyant le mocassin momentanément déséquilibré, si tant était
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