Le prix de l'indépendance
ils le hissèrent debout ; un grand soulagement en dépit de ses jambes molles. Remarquant son visage brûlé par le soleil et dévoré par les insectes, Murray sortit une boîte en fer-blanc du sac en cuir qu’il portait en bandoulière. Elle contenait un onguent nauséabond dont il le tartina copieusement.
Bien que William ne lui ait rien demandé, il annonça :
— Nous ne sommes plus qu’à huit ou neuf kilomètres.
— Ah, tant mieux ! Je ne suis donc pas en enfer, après tout, juste au purgatoire. Qu’est-ce que mille ans de plus ?
Glouton lui lança un regard perplexe mais cela fit rire Murray qui lui donna une tape sur l’épaule.
— Vous tiendrez le coup. Vous voulez marcher un peu ?
— Oh, que oui !
Sa tête lui tournait, ses pieds étaient tournés vers l’extérieur et ses genoux semblaient fléchir dans des directions opposées mais tout valait mieux que de partager une heure de plus une couche infestée de mouches avec le couguar aux yeux vitreux et à la langue pendante. Equipé d’une canne solide taillée dans un jeune chêne, il se mit à marcher d’un pas incertain derrière le cheval, tantôt ruisselant de transpiration, tantôt grelottant de fièvre, mais déterminé à poursuivre jusqu’à en tomber.
L’onguent refoulait bel et bien les mouches (tous les Indiens en étaient enduits également) et, quand il ne luttait pas contre les frissons, il sombrait dans une espèce de transe, ne pensant plus qu’à mettre un pied devant l’autre.
Les Indiens et Murray le surveillèrent du coin de l’œil pendant un temps puis, ayant constaté qu’il tenait debout, reprirent leur conversation. William ne pouvait comprendre ce que disaient les deux ne parlant qu’iroquois mais il entendit Glouton interroger Murray sur la nature du purgatoire.
Murray avait quelque difficulté à lui expliquer le concept, car les Mohawks ne connaissaient ni la notion du péché ni celle d’un dieu se souciant de la méchanceté de l’homme.
— Tu as de la chance d’être devenu Kahnyen’kehaka, déclara enfin Glouton en hochant la tête. Un esprit qui, une fois le méchant tombé, continue de vouloir le torturer après sa mort ? Dire que les chrétiens nous trouvent cruels !
— Oui, mais imagine qu’un homme se soit montré lâche et ait connu une mort indigne. Le purgatoire lui permet de montrer enfin son courage, tu ne crois pas ? Puis, une fois qu’il se sera racheté, le pont s’ouvrira à lui et il pourra traverser indemne les nuages de choses horribles pour arriver au paradis.
— Hmm… fit Glouton, peu convaincu. Je suppose que si un homme peut supporter la torture pendant des siècles… Mais comment peut-on le mettre au supplice s’il n’a plus de corps ?
— Tu crois qu’on a besoin d’un corps pour être torturé ?
Glouton poussa un grognement d’assentiment ou d’amusement puis laissa tomber le sujet.
Ils marchèrent en silence un long moment, entourés par les chants d’oiseaux et les bourdonnements d’insectes. Concentré sur l’effort qu’il faisait pour ne pas s’effondrer, William fixait la nuque de Murray devant lui afin de ne pas s’écarter du chemin. Ainsi, quand l’Ecossais ralentit le pas, le remarqua-t-il immédiatement.
Il crut d’abord que c’était pour lui et allait protester qu’il pouvait parfaitement tenir la cadence quand il vit Murray lancer un bref regard aux autres Mohawks qui les devançaient de quelques mètres puis glisser quelque chose à voix basse à l’oreille de Glouton.
L’Indien parut rechigner puis dit avec un soupir résigné :
— Je comprends. C’est elle, ton purgatoire, c’est ça ?
— Qu’est-ce que ça change ? se défendit Murray. Je t’ai juste demandé si elle allait bien.
— Elle a un fils. Une fille aussi, je crois. Son mari…
— Oui ? demanda Murray plus sèchement.
— Tu connais Thayendanegea ?
— Oui.
A présent, Murray paraissait intrigué. William l’était aussi, d’une manière vague et confuse. Il attendait de savoir qui était Thayendanegea et ce qu’il avait à voir avec la femme qui était – avait été – la maîtresse de Murray. Oh non.
Nous ne sommes plus ensemble . Sa femme, donc. William ressentit une pointe de compassion, songeant à Margery. Au cours des quatre dernières années, il avait rarement pensé à elle mais, soudain, sa trahison lui apparut comme une tragédie. Des images de la jeune femme flottèrent autour de lui, déformées par le chagrin. Il sentit un
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