Le prix de l'indépendance
l’Ecossais. Non, en réalité, on chante son chant de mort quand on sait qu’on va mourir. Peu importe la raison.
— Mais c’est encore plus honorable si on le fait pendant qu’on vous enfonce des échardes brûlantes ?
L’Ecossais s’esclaffa. Il paraissait soudain beaucoup moins indien.
— Pour être vraiment honnête… je n’ai pas trouvé que l’Onondaga s’en était si bien sorti. Je sais, je ne devrais pas critiquer. Je ne sais pas si je pourrais faire mieux… dans de telles circonstances.
Ce fut au tour de William de rire. Puis le silence retomba entre eux. William supposa que, comme lui, Murray s’imaginait ligoté à un poteau, sur le point d’être supplicié. Il fixa le néant au-dessus de lui et s’efforça de composer quelques vers : Je suis William Clarence Henry George Ranson, comte d’Elle … Il s’interrompit. Il n’avait jamais aimé cette litanie de noms. Je suis William… William James … James était son prénom secret. Il n’y avait pas repensé depuis des années. C’était toujours mieux que Clarence. Je suis William … Qu’y avait-il d’autre à dire ? Pas grand-chose. Il n’avait pas intérêt à mourir maintenant, pas avant d’avoir matière à composer un chant de mort décent.
Murray était silencieux ; le feu se reflétait dans ses yeux sombres. En l’observant, William se dit que le Mohawk écossais devait avoir préparé son chant de mort depuis un certain temps déjà. Bientôt, bercé par le crépitement des flammes et les craquements d’os broyés, il s’endormit, brûlant mais brave.
Il errait de cauchemar en cauchemar, pourchassé par des serpents noirs sur des passerelles instables au-dessus de gouffres sans fond. Des essaims de têtes volantes jaunes aux yeux arc-en-ciel l’assaillaient de toutes parts, leurs petites dents acérées lui arrachant la chair par lambeaux. Il agita un bras pour les chasser et une douleur fulgurante le réveilla.
Il faisait encore nuit mais l’air frais et vif annonçait l’arrivée de l’aurore. Sa caresse sur son visage le fit frissonner.
Il entendit une phrase qu’il ne comprit pas et, encore à moitié empêtré dans ses rêves fiévreux, crut qu’elle avait été prononcée par l’un des serpents à ses trousses.
Une main se posa sur son front et un grand pouce souleva l’une de ses paupières. Un visage d’Indien flotta devant lui.
Il émit un grognement irrité et détourna la tête en clignant des yeux. L’Indien posa une question et une voix familière lui répondit. Qui… Murray ! Il se souvint vaguement que Murray avait été dans son rêve, lui aussi, réprimandant les serpents avec son anglais grasseyant typiquement écossais.
Cette fois il ne s’exprimait ni en anglais ni dans une des langues des Highlands. Bien que son corps tout entier fût agité de convulsions, William se força à tourner la tête.
Plusieurs Indiens étaient installés autour du feu. Un, deux, trois… Six en tout. Murray était assis sur le tronc couché avec l’un d’eux et discutait.
Non, sept. Il y avait également celui qui l’avait touché et qui était toujours penché sur lui, scrutant son visage. Il lui demanda en anglais avec un air vaguement intrigué :
— Tu crois que tu vas mourir ?
— Non, répondit William entre ses dents. Et puis qui êtes-vous, d’abord ?
L’Indien sembla trouver sa question amusante et la répéta à ses compagnons par-dessus son épaule. Ils éclatèrent de rire. Constatant qu’il était réveillé, Murray se leva.
L’homme penché sur William sourit et répondit :
— Kahnyen’kehaka. Et puis qui êtes-vous d’abord ?
— C’est un de mes parents, répondit Murray.
Il s’accroupit près de William, repoussa l’Indien du coude.
— Toujours en vie à ce que je vois.
— Apparemment. Cela vous ennuierait de me présenter vos… amis ?
Cette phrase fit se tordre de rire le premier Indien. Il la traduisit à ses compagnons dont plusieurs s’étaient approchés pour observer le malade, hilares.
Murray, lui, paraissait moins amusé.
— Des membres de ma famille, répondit-il sèchement. Du moins, quelques-uns d’entre eux. Vous voulez un peu d’eau ?
— Vous avez beaucoup de parents… cousin. Oui, je veux bien, merci.
Il se redressa péniblement sur un bras, navré d’abandonner le confort de sa couverture constellée de rosée mais obéissant à un instinct lui dictant qu’il avait tout intérêt à se tenir sur ses deux jambes. Murray
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