Le prix de l'indépendance
contre lui comme un talisman qui l’aurait protégé des perspectives qu’il entrevoyait.
Non, c’était inconcevable. Son père connaissait Richardson. S’il avait été un traître…
— Non, répéta-t-il à voix haute. Impossible, ou très improbable. C’est le rasoir d’Occam.
Cette idée le calma un peu. Il avait appris les principes de base de la logique très tôt et Guillaume d’Occam lui avait toujours semblé un bon guide. Quelle était l’hypothèse la plus plausible : que Richardson soit un traître infiltré qui l’avait délibérément mis en danger, que le capitaine ait été mal informé ou qu’il ait simplement commis une erreur ?
William ne se berçait pas d’illusions sur son importance. Quel intérêt, pour Richardson ou pour quiconque, d’éliminer un jeune officier engagé dans des missions de renseignements sans grande portée ?
Il se détendit légèrement et but une grande gorgée d’infusion. Il s’étrangla et la recracha. Il était encore en traind’essuyer les dégâts quand il entendit le docteur Hunter monter l’escalier d’un pas guilleret. Denzell Hunter, qui approchait la trentaine, devait avoir une dizaine d’années de plus que sa sœur. C’était un homme menu et toujours joyeux. En apercevant William, son visage s’illumina. Il était sincèrement ravi de l’état de son patient. William lui sourit chaleureusement.
Le médecin déposa le blaireau et le pot de savon qu’il avait apportés.
— Ma sœur m’informe que je dois te raser. Si tu envisages un retour dans le monde, c’est que tu te sens mieux. La première chose qu’un homme fait quand il est libéré des contraintes sociales, c’est se laisser pousser la barbe. Es-tu allé à la selle ?
— Non, mais je compte bien y aller très prochainement, l’assura William. Cependant, je ne peux pas me montrer en public en ayant l’air d’un bandit, même pour aller aux latrines. Je ne voudrais pas scandaliser vos voisins.
Le docteur Hunter se mit à rire. Il sortit un rasoir d’une poche et des lunettes à monture argentée d’une autre. Puis, ayant chaussé ces dernières, il plongea le blaireau dans le pot à savon.
— Ne t’inquiète pas, ma sœur et moi sommes déjà un sujet de fable et de risée. De voir des bandits émergeant de nos latrines ne fera que les conforter dans leurs opinions.
— Vraiment ? s’étonna William.
En reprenant ses esprits, deux jours plus tôt, il avait appris qu’il se trouvait à Oak Grove, une petite colonie de quakers. Il avait toujours cru les quakers soudés par leurs sentiments religieux.
Hunter déposa son blaireau et saisit son rasoir.
— Que veux-tu, la politique ! soupira-t-il. Dis-moi, Ami William, y a-t-il quelqu’un que je devrais prévenir de tes mésaventures ?
Il interrompit son travail pour laisser William répondre.
— Non, merci, docteur. Je m’en chargerai. Je pense pouvoir reprendre la route dès demain mais soyez assuré que je n’oublierai pas votre bonté et votre hospitalité une fois que j’aurai rejoint mes… amis.
Denzell Hunter plissa le front d’un air concentré et reprit son rasage. Quelques instants plus tard, il demanda :
— Pardonne mon indiscrétion, Ami William, mais où comptes-tu te rendre ?
William hésita. Compte tenu de l’état déplorable de ses finances, il n’avait pas encore pris de décision. La meilleure solution consistait à se rendre à Mount Josiah, sa plantation. Il ne l’aurait pas juré mais il estimait qu’elle se trouvait à plus ou moins soixante-dix kilomètres. Si les Hunter lui donnaient des provisions, il pourrait sans doute y parvenir en quelques jours, une semaine tout au plus. Une fois là, il trouverait des vêtements décents, un bon cheval, des armes, de l’argent, et pourrait reprendre son voyage.
C’était tentant. Toutefois, cela signifiait révéler sa présence en Virginie… et susciter bon nombre de commentaires, car tout le monde dans le comté le connaissait et savait qu’il était soldat. En le voyant débarquer dans cette tenue…
— Il y a quelques catholiques à Rosemount, observa timidement Hunter en essuyant sa lame sur une serviette élimée.
William lui jeta un regard surpris. Pourquoi lui parlait-il soudain de catholiques ? Constatant sa réaction, le docteur s’excusa :
— Pardonne-moi, Ami. Comme tu as parlé de tes amis, j’ai pensé…
— Vous avez pensé que j’étais…
William comprit brusquement et porta une main à son
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