Le prix du sang
Rivière-du-Loup, accueillait son lot dâestivants, établis dans de jolies résidences secondaires construites près du fleuve.
â Dis plutôt plusieurs années, dans un sens ou dans lâautre. Jâai trente-six ans, et toi dix-neuf.
â Mais ni toi ni moi ne faisons notre âge.
Marie sâétonnait toujours de lâimmense ressemblance entre son fils et Alfred. En comparaison, les traits du garçon rappelaient fort peu ceux de son père naturel. Elle expliquait la chose par le mimétisme, lâenfant modelant ses expressions sur celles de lâhomme sâoccupant de lui. Lâexamen dâun portrait du grand-père, Théodule Picard, lui aurait fourni une explication toute simple du phénomène.
Après un moment de silence, la femme admit à voix basse :
â Je me sens terriblement mal à lâaise. Jâai reçu cette lettre lundi. Vendredi, je me précipite à sa rencontre. Si Thalie faisait une chose pareille, je mourrais dâinquiétude, certaine de la voir courir à sa perte.
â Mais dans notre maison, Thalie est certainement la femme la plus réfléchie, risqua Mathieu, un sourire en coin.
Sa mère dut se donner un moment de réflexion avant de reconnaître lâhumour contenu dans la remarque. à la fin, elle répondit :
â Si tu as raison, cela témoigne éloquemment du caractère déraisonnable des deux autres!
Le sourire complice sur le visage du garçon lui permit de se détendre un peu. Celui-ci enchaîna après une pause :
â De toute façon, il y a un train tous les matins entre Lévis et Rivière-du-Loup, et un autre, le soir, fait le trajet dans lâautre sens. Si tu aimes ton séjour, nous restons, sinon, nous repartons.
â Si jâaime ce séjour, je me demande si le plus sage ne serait pas de prendre la fuite immédiatement.
Mathieu demeura un moment silencieux, puis admit :
â Je ne comprends pas.
â Je ne sais pas si je crains dâaimer sa présence ou de ne pas lâaimer. Lâune ou lâautre de ces possibilités changera ma vie.
Le garçon comprit alors le véritable sens de ces paroles : aimer cet homme, ou ne pas lâaimer, signifiait tout de même que son cÅur souhaitait une nouvelle présence. Après avoir reconnu ce fait, elle ne pourrait poursuivre son existence de veuve solitaire.
Paul Dubuc devait se poser exactement les mêmes questions.
* * *
Longtemps à lâavance, le député se tint sur la longue jetée de planches le long des rails faisant office de quai. La gare, une petite bâtisse construite en bois, abritait un comptoir et une petite salle dâattente. Sauf en cas de pluie ou de froid intense, les voyageurs et les personnes venues accueillir quelquâun préféraient les banquettes en plein air.
Le train sâannonça dâabord par son panache de fumée noire et grasse, puis la locomotive présenta sa masse de fer et de fonte aux regards. Elle sâarrêta dans un nuage de vapeur et le crissement aigu de lâacier contre lâacier.
Paul Dubuc marcha jusquâau bout des madriers, surveillant les portes des deux wagons de première classe. Plus tôt ce matin-là , au cours dâun long soliloque, il avait débattu de la pertinence de se faire accompagner par Françoise. à la fin, venir seul lui avait semblé moins intimidant, à la fois pour lui et pour ses invités.
Un grand jeune homme à la silhouette un peu familière descendit deux valises, les posa sur le quai pour tendre la main afin dâaider quelquâun. La jupe dâun bleu sombre lui rappela immédiatement Marie Picard. Elle descendit avec vivacité, sauta en riant de la dernière marche sur les madriers en appuyant la main sur son large chapeau de paille pour le tenir bien en place. La dernière mode autorisait les femmes à montrer leurs chevilles et un tout petit bout de jambe. Le mouvement en révéla un peu plus, en même temps que de jolis bas bleus aux broderies discrètes. Le corsage azur, boutonné jusquâau cou, montrait une silhouette souple et fine.
Le politicien sâapprocha, un peu rougissant, et tendit la main en murmurant :
â Madame, je suis si heureux de vous revoir.
Il sâempara des doigts gantés. Il joignit son autre main à la première pour
Weitere Kostenlose Bücher