Le prix du sang
les femmes, même les épouses aimantes et fidèles, semblaient dire « Pourquoi diable chercher à Québec ce qui se trouve en abondance à Rivière-du-Loup? » Voir un bon parti profiter aux étrangères décevait toujours.
Si le notable caressait le désir dâune idylle discrète, rien ne lâindiquait dans son comportement. à lâheure du souper, sa visiteuse deviendrait le sujet de conversation.
â Vous ne craignez pas de faire jaser? remarqua Marie alors quâils marchaient à lâombre de grands érables dans le parc longeant la rivière.
Dubuc se retourna pour la contempler un moment, puis demanda :
â Voulez-vous vous asseoir un moment sur ce banc?
Abrités par un épais buisson de lauriers, ils pourraient contempler lâeau coulant doucement à leurs pieds. La femme ferma son ombrelle et tira un peu sur sa jupe au moment de sâinstaller. Son compagnon sâassit un peu de biais afin de voir son visage. Son grand chapeau de paille lui donnait lâair dâun villégiateur fuyant la chaleur moite de la grande ville.
â En toute franchise, Marie, je le crains un peu, reconnut-il enfin. Dans une certaine mesure, je le souhaite aussi. Tous ces gens me connaissent, les plus âgés connaissaient déjà mon père. Je me flatte dâavoir une réputation enviable, tout comme vousâ¦
â Que savez-vous de ma réputation? demanda sa compagne dâun ton amusé.
Tout de même, sa voix trahissait aussi un peu dâinquiétude. Dans une ville de la taille de Québec, tout son passé pouvait être commenté.
â Ne craignez rien, répondit-il, je ne suis pas de nature inquisitrice. Deux ou trois personnes mâont dit précisément ce que je voulais entendre : vous êtes une veuve respectable, connaissant bien son domaine dâactivité, gratifié par la vie de deux enfants studieux, disposés depuis lâenfance à vous aider dans votre commerce. Sâil y avait quoi que ce soit de plus à dire sur vous, je ne lâai pas demandé et je ne lâai pas écouté, soyez-en bien certaine.
Autrement dit, lâhomme avait entendu des rumeurs sur les habitudes de feu son époux sans que cela nâentame sa bonne opinion de la veuve. La mise au point formulée, il revint sur la contradiction apparente de sa première réponse.
â Vous me plaisez beaucoup, vous lâavez compris, déjà .
Marie acquiesça de la tête, ses grands yeux bleu sombre dans les siens.
â Certaines personnes jugeront sans doute tout à fait incorrect de me promener avec une jolie femme à mon bras huit mois après avoir enterré mon épouse.
Les bonnes gens désireuses de le condamner utiliseraient ces mots précis.
â Vous savez, jâai été un bon mari, insista lâhomme avec un trémolo dans la voix. Je ne dis pas parfait, mais Amélie⦠Ma cadette porte le nom de mon épouse. La liste de ses reproches à mon égard sâest avérée bien courte.
â Je vous crois, assura Marie en effleurant la main de son compagnon, posée sur le banc, à quelques pouces de sa cuisse.
Dubuc se perdit un moment dans la contemplation de la rivière, attentif à refouler ses larmes. Après un moment, il poursuivit :
â Puis, je vous ai rencontrée. Les grenouilles de bénitier et les censeurs de village peuvent bien préférer que lâévénement se produise après la fin du grand deuil. Ce ne fut pas le cas. Que dois-je faire? Attendre lâété prochain pour vous envoyer un petit carton dâinvitation?
â De toute façon, maintenant, il est trop tard, commenta sa compagne, amusée.
Personne ne sâattendait à ce quâun veuf, surtout avec deux jeunes filles sur les bras, demeure bien longtemps seul. Toutefois, un trop grand empressement provoquerait toutes sortes de médisances. Paul murmura bientôt :
â Votre missive de lundi dernier portait les mots « Cher ami ». Je les ai pris au pied de la lettre. Ai-je eu raison?
â ⦠Oui. Je suppose que je ne peux résister aux larmes dâun bel homme.
Elle ramena ses doigts gantés sur la main posée entre eux et serra légèrement ceux de son compagnon. Il répondit par une légère pression des siens. La femme remit sa main sur la
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