Le prix du sang
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â Voilà quatre jolies robes qui font du chemin.
â Je me demande bien ce qui lui prend!
Marie entendait maintenant récupérer la missive. Lâadolescente se tourna à demi dans lâautre direction pour la relire encore. Elle déclara ensuite :
â Pourtant, cet homme est très clair.
â Je peux savoir ce qui se passe? demanda Mathieu.
Thalie regarda sa mère rougissante et lui adressa son meilleur sourire avant de dire :
â La plus jolie femme de la maison touche les cÅurs. Ãcoute bien.
Elle se cala dans sa chaise pour lire à haute voix :
Très chère Madame,
Je vous remercie encore pour votre grande gentillesse et vos mots de réconfort. Après quelques jours à Rivière-du-Loup, je constate que mes deux filles retrouvent leur sourire. Cela tient certainement un peu au sentiment de se sentir jolies. Pour cela aussi, je vous remercie.
Me feriez-vous le plaisir dâune visite? Ma sÅur aînée sâoccupe de la maison, vos enfants et vous seriez les bienvenus. Jâaurais grand plaisir à vous faire visiter mon gros village et, je le souhaite de tout cÅur, devenir votre ami.
Encore une fois, merci.
Paul Dubuc
â Il a dû écrire cela dans un moment dâivresse⦠ou de grande tristesse, sâempressa dâajouter Marie afin de ne pas ternir la réputation de son correspondant.
â Pourtant, cela me paraît bien convenir au personnage dont tu tenais la main, ou qui te tenait la main, je ne sais plus, commenta lâadolescente. Un homme sensible dont tu as touché le cÅur.
â Ne dis pas de sottises. Tu lâas dit, nous lui avons vendu quatre robes.
La femme se défendait mal, ses joues se teintaient de rose. Elle se concentra sur sa salade, feignant de se désintéresser du carton, maintenant entre les mains de son fils.
â Que comptes-tu faire? sâenquit ce dernier.
â ⦠Rien. Ce nâest pas sérieux, une invitation de ce genre.
â Le gars ne mâa pas semblé porté sur les blagues de mauvais goût, fit Mathieu. Donc, il doit être sérieux.
â Puis, de toute façon, cela ne se fait pas. Que diront les gens?
Ce souci du quâen-dira-t-on, si angoissant du temps des frasques dâAlfred, prenait une nouvelle allure. La veuve admirable de résolution craignait de devenir celle par qui le scandale arrive. Gertrude demanda sans lever les yeux de son assiette :
â Le bonhomme vous a-t-il semblé plaisant?
â Je ne lâai pas regardé⦠en tout cas, pas dans ce sens-là .
â Allez-vous commencer à me prendre pour une gourde, à mon âge?
Marie se troubla, jeta un coup dâÅil sur ses enfants, comme si leur présence lâempêchait dâêtre franche. La domestique insista :
â Ce sont des adultes, maintenant. La preuve, ils feront des journées de travail dâadulte tout lâété. Que pensez-vous de cet homme?
La marchande se trouvait poussée dans ses derniers retranchements.
â Câest un type bien, je crois.
â Alors, allez-y.
â Cela ne se fait pas. Il mâinvite chez luiâ¦
â En précisant que sa sÅur sâoccupe de sa maison. Puis, il invite aussi vos enfants, en guise de chaperons. Votre réputation ne souffrira pas.
Elle se leva pour aller chercher le mets principal dans la cuisine. Marie plaida en son absence :
â Câest la meilleure saison, nous ne pouvons pas abandonner le commerce.
â Câest vrai que si tu tâabsentes, tout va sâeffondrer, railla Thalie. Mon frère et moi ne savons rien faire.
â Je ne peux y aller seule⦠Ma réputationâ¦
â Amène Mathieu, conclut lâadolescente. Il a terminé son cours classique parmi les premiers il y a moins dâune semaine. Quelques jours de congé lui feront du bien. Regarde son visage, si pâle.
Le garçon lui adressa une grimace, sans toutefois protester. Rivière-du-Loup exerçait sur lui une certaine attirance.
â Voyons, tu ne peux pas remplacer trois personnes à toi seule, protesta Marie.
â Mais tu peux demander à lâune de nos anciennes vendeuses de venir aider. Eulalie ne cesse de te répéter combien cela lui ferait plaisir.
La plupart des femmes abandonnaient leur emploi au moment du mariage. Ã moins de tomber enceinte
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