Le prix du sang
galerie en sâessuyant les mains avec une serviette. Déjà , elle sâactivait devant les fourneaux pour préparer le dîner. Les deux jeunes filles de la maison sortirent sur ses talons, à la fois souriantes et intimidées.
â Marie, je vous présente ma grande sÅur, Louise. Elle mâa élevé il y a des décennies, et la voici condamnée à sâoccuper de ma maison et de ma famille depuis lâannée dernière.
Depuis son veuvage, en fait. La précision sâavérait superflue. Elle-même veuve, elle gagnait un gîte confortable et un couvert généreux en devenant une espèce de gouvernante dans la famille de son frère. Lâentente profitait bien à chacune des parties.
â Madame⦠prononcèrent les deux femmes simultanément en tendant la main.
Elles exprimèrent leur malaise respectif dans un sourire. Mathieu montra tout son savoir-vivre en se présentant dâune poignée de main et dâune inclinaison de la tête.
â Et vous connaissez déjà ces jolies jeunes filles, continua Dubuc.
Afin dâéviter tout impair dû à une mémoire défaillante, il précisa :
â Amélie et Françoise.
â Jolies et élégantes, prononça Marie en serrant leur main.
Elles portaient les robes achetées quelques semaines plus tôt.
â Si vous voulez mâexcuser, je vais retourner à mes chaudrons, prononça lâhôtesse. Je vous reverrai tout à lâheure, indiqua-t-elle en sâesquivant.
â Je vais vous conduire à vos chambres, proposa lâhomme.
La porte donnait sur un long couloir. Les pièces familiales se trouvaient sur la gauche, au rez-de-chaussée : la cuisine, la salle à manger et le salon. De lâautre côté sâalignaient un bureau, une salle dâeau et deux chambres. Paul sâengagea dans lâescalier, ses visiteurs sur les talons, ses filles fermant la marche. à lâétage, les pièces se répartissaient aussi de part et dâautre dâun couloir.
â Vous occuperez ces chambres contiguës. La salle de bain se trouve entre les deux. Mathieu, précisa-t-il en ouvrant une première porte, voici la vôtre.
â La mienne se trouve juste en face, précisa Amélie, comme si cela présentait un grand avantage.
â Je suppose que câest le meilleur côté de la maison, commenta le jeune homme en épiant la réaction de la jeune fille.
â Oui, il donne sur le jardin. Le matin, il y a plein dâoiseaux.
à quatorze ans, lâamitié dâun beau et grand jeune homme paraissait précieuse à la jeune fille, au point de partager les chants des oiseaux avec lui. Lâadolescente, vêtue de sa jolie robe au col matelot, lui montrait une dentition parfaite.
â Marie, voici la vôtre. Je vous laisse vous rafraîchir, après ce voyage. Aimeriez-vous nous rejoindre sur la galerie, pour une limonade, avant le dîner?
â ⦠Je ne voudrais pas vous importuner.
â Ce qui nous dérangerait vraiment, ce serait que vous vous sentiez mal à lâaise avec nous. Nous occuper de nos invités nous procure au contraire un grand plaisir.
La femme commença par lui adresser son meilleur sourire avant de rétorquer :
â Nous serons heureux de nous joindre à vous.
â à tout à lâheure.
Lâhomme sâengagea dans lâescalier. Françoise le suivit.
â Amélie, appela-t-il, laisse nos invités sâinstaller.
La gamine échappa un soupir, frustrée dans son devoir dâhôtesse. La politesse nâexigeait-elle pas dâaider Mathieu à défaire ses valises?
* * *
Si un homme figurait au pinacle des élites villageoises, au point de se faire élire député après avoir occupé les fonctions de maire, cela nécessitait de connaître tout le monde, et dâêtre reconnu de tous. Après un dîner léger, Paul avait proposé à son invitée de visiter « la plus belle localité de la province ». Trente minutes plus tard, Marie avait été présentée à au moins la moitié de ses habitants. La même phrase revenait sans cesse, toujours identique :
â Voici Marie Picard, une bonne amie de la famille.
Les hommes murmuraient « enchanté », avec des yeux complices, alors que
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