Le prix du sang
vous souhaite la bienvenue dans notre, je devrais dire votre institution dâenseignement.
Sans surprise, Mathieu écouta le prélat évoquer les divers règlements. Plutôt que les études proprement dites, la plupart devaient encadrer les comportements moraux. Puis, lâecclésiastique conclut :
â Si vous voulez maintenant vous lever, nous allons dire ensemble une prière afin dâamener sur vos efforts académiques la protection bienveillante de Dieu. Puis, nous en dirons une seconde afin que le Créateur, dans ces temps troublés, apporte la lumière à ceux qui nous gouvernent.
Lâallusion sâavérait limpide. Dans lâesprit de tous ces jeunes hommes, la même question sâimposa : si venait la conscription, lâÃglise conseillerait-elle à ses ouailles de se soumettre au pouvoir légitime ou tiendrait-elle à servir les intérêts de la société canadienne-française?
Quelques minutes plus tard, Mathieu entamait une nouvelle étape de sa vie. Il éprouvait un nouveau sentiment de liberté. Lâatmosphère paraissait moins lourde de religiosité, malgré la présence de membres du clergé à la direction de lâétablissement. Cela tenait certainement un peu à ses vêtements de ville. Le port du « suisse », durant toutes les années précédentes, sâavérait un rappel constant de son état. Et surtout, à dix-neuf ans, il verrait enfin un professeur laïque de ses propres yeux. Bien sûr, le juge chargé de donner le cours dâintroduction au droit romain sâavérait dâune moralité à toute épreuve. Tout de même, le voir avec un col en celluloïd aux coins cassés et une cravate à la mode du siècle dernier sâavérait un changement troublant.
* * *
Dâhabitude, lâabsence dâÃdouard au travail un jour de semaine conduisait Thomas au bord de lâapoplexie. Pourtant, cette fois, le père accompagnait son fils dans un curieux pèlerinage, afin de laver sa mémoire des dernières frayeurs attribuables à la catastrophe de 1907. Le 11 septembre, dès six heures du matin, ils se trouvaient tous deux, appuyés contre la Buick, au sommet de la falaise dominant le fleuve, à Sillery. Des navires encombraient le cours dâeau. Depuis minuit, la circulation navale habituelle se trouvait suspendue.
â Câest tout de même incroyable, ce que lâon arrive à faire, de nos jours, commenta le jeune homme.
Sous leurs yeux, de nombreux remorqueurs se déplaçaient en tirant ou en poussant une douzaine de barges sur lesquelles reposait toute la travée centrale du pont, une immense plaque composée de poutrelles rivées.
â Je ne connais rien à ce domaine, mais penser que de grands morceaux dâun ouvrage comme celui-là peuvent être assemblés sur la rive, et ensuite accrochés à des dizaines de verges plus haut me paraît impossible. Imagine la taille des boulons pour faire tenir celaâ¦
Impressionnés, ils contemplèrent la structure du pont qui sâélevait, très haute, au-dessus des poutrelles dâacier de couleur rouille. à lâhorizontale, comme deux mains tendues lâune vers lâautre, on voyait sâélancer les sections nord et sud du tablier. Il restait un espace vide, très long. La travée centrale, sur les barges, finit par être alignée parfaitement un peu après six heures trente, attachée par de gros câbles à la structure existante. Dans un concert de cris inaudibles depuis la rive et de signaux visuels, les remorqueurs arrivèrent avec un synchronisme parfait à combattre lâeffet du courant afin de conserver lâimmense rectangle métallique à lâendroit précis où ils lâavaient conduit.
Puis, pendant un long moment, plus rien ne sembla se passer. Pour tromper leur ennui, les spectateurs commencèrent à laisser libre cours à leur imagination.
â Imagine un attentat par les Allemands, fit Ãdouard. Cela aurait un retentissement dans tout lâEmpire.
â Tous ces soldats servent exactement à empêcher cette éventualité.
Une fraction des valeureux volontaires du contingent canadien ne quitterait jamais le pays, affectée à la défense des édifices et des équipements publics. Les canaux et les
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