Le prix du sang
ce qui mâa prisâ¦
â Entre amies, je vais vous le dire. Il est très bien. Je crois que je suis heureuse⦠Pas juste en sécurité, comme du vivant dâAlfred, mais heureuse.
â Profitez-en, vous le méritez.
La femme esquissa encore le mouvement de quitter la cuisine, pour entendre encore :
â Dites-lui de venir iciâ¦
â Pardon?
â Au lieu de vous rendre chez lui, et dâattirer lâattention au moment de rentrer, demandez-lui de venir ici. Par la ruelle, câest discret. De son côté, sa réputation ne risque rien, les hommes se promènent dehors toute la nuit sans que personne ne trouve à redire. Jamais on aura la même indulgence à votre égard.
Marie demeura songeuse, consciente quâau moment de revenir de la rue dâAuteuil, de nombreuses personnes pouvaient la reconnaître. à la fin, elle chuchota :
â Ã cause des enfants, je ne peux pas.
â Ils comprennent, ils savent que vous êtes amoureuse. Cela se voit sur votre visage. Ce soir, ils se doutaient bien de la raison de votre absence.
â Douter, ce nâest pas tout à fait savoir. Je ne peux pas recevoir un homme dans la maison. Enfin, pas mon amant.
Sur ces mots, sans rien écouter de plus, Marie regagna sa chambre.
* * *
Les journées de Fernand Dupire recelaient peu de surprises. Au fil des mois, son père lui confiait un nombre croissant de dossiers, pour la plupart ceux de personnes de moins de quarante ans. Il se réservait toutefois les situations les plus délicates, et les personnes connues depuis des décennies, qui souffriraient dâune rupture de leur vieille relation dâaffaires.
Recevoir des visiteurs consommait la moitié du temps du jeune homme, y compris parfois en soirée. Les recherches, la rédaction des actes, occupaient tout le reste. Ce genre de travail demeurait toutefois poreux et réservait des moments pour converser avec ses parents ou même avec Antoine. Dans son cas, bien sûr, le babillage sans fin constituait un piètre échange dâidées.
Au moment de se rendre à la cuisine afin de se verser une nouvelle tasse de thé, il entendit une voix enjouée prononcer :
â Alors, mon petit monsieur, on est tout propre, maintenant?
Il découvrit Antoine nu comme un ver, soutenu par Jeanne, les deux pieds sâagitant dans une bassine de zinc posée sur la table. La domestique, enthousiaste, lui permettait de tester la force de ses petites jambes. Quand elle aperçut son patron à lâentrée de la pièce, elle précisa, en guise dâexplication :
â Je trouve plus simple de faire sa toilette iciâ¦
â Oui, je sais. De toute façon, il nâa pas encore appris à être intimidé, dans cette tenue.
Le garçon offrait à la vue un corps toujours luisant dâhumidité, un ventre et des fesses rebondies, des membres potelés. Son visage joyeux et son gazouillis témoignaient bien que lâidée de couvrir sa « honte » ne lâhabitait pas encore.
La domestique lâenveloppa dans une grande serviette de toile avant de le prendre dans ses bras et, en sâadressant au petit :
â Tout de même, on ne restera pas dans ce bel habit de peau toute la journée, mon grand.
Lâenfant regardait en direction du nouveau venu et tendait les bras en émettant un son quâune personne très optimiste aurait pu confondre avec un « papa ».
â Oui, câest ton papa, répondit Jeanne. Tu veux aller le rejoindre?
Le geste de la tête semblait un assentiment. La jeune femme sâapprocha et tendit un Antoine plutôt excité à son père. Au moment de le prendre, le dos de la main de Fernand effleura lâun de ses seins.
â Je⦠je mâexcuse, bredouilla-t-il.
â Ce nâest rien. Vous vouliez du thé?
Son sourire engageant permit au jeune notaire de retrouver sa contenance.
â Oui. Jâai tendance à laisser refroidir la tasse. Finalement, je finis par en boire assez peu.
â Jâai mis de lâeau à chauffer, tout à lâheure. Je vais vous en préparer du frais.
Elle étira les bras afin de prendre une théière sur une étagère, révélant ainsi le galbe de sa poitrine dans son mouvement. Tout en ne perdant rien du joli spectacle, lâhomme fit semblant de
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