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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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participer au babillage de son garçon, soudainement passionné par les mystères de son nœud de cravate. Elle rinça la porcelaine avec un peu d’eau bouillante, puis chercha du Earl Grey dans une boîte en fer blanc.
    Au moment où la boisson commençait à infuser, elle vida la bassine de zinc ayant servi au bain de l’enfant dans l’évier, commença par la rincer avant de se livrer à un nettoyage en règle.
    â€” Vous vous occupez très bien de lui, commenta Fernand. J’espère que le surcroît de travail ne vous pèse pas trop.
    â€” Travail? M’occuper d’Antoine est un plaisir…
    Elle s’interrompit, se mordit la lèvre inférieure avant de convenir dans un sourire :
    â€” Je ne devrais pas dire cela. Vous voudrez couper mes gages, maintenant.
    â€” Cela ne risque pas d’arriver. Je comprends seulement que vous aimez vous occuper de ce gros garçon.
    L’homme essayait d’empêcher les petites mains de s’emparer tout à fait de sa cravate. La dernière fois, l’accessoire avait rapidement fait office de tétine.
    â€” Il est si gentil. Le portrait de son père.
    L’audace du propos troubla la jeune femme. Elle alla ranger la bassine et revint pour poser les mains sur la théière afin d’apprécier la chaleur de la porcelaine.
    â€” De toute façon, vous le savez bien, j’avais peu à faire avant sa naissance.
    â€” Cela n’enlève rien à mon appréciation. Vous vous en occupez très bien. Il a de la chance de vous avoir.
    Plutôt innocents, ces mots ajoutèrent tout de même au malaise de Jeanne. Ils contenaient un reproche implicite à l’égard de la mère, réfugiée toute la journée dans son petit salon, à l’étage, sans doute encore absorbée dans une romance à deux sous. Cet enfant disait ses premiers mots, s’essayait à ses premiers déplacements avec une autre personne que celle lui ayant donné le jour.
    Jeanne s’approcha pour prendre Antoine de nouveau. L’homme s’attacha cette fois à éviter de laisser ses mains outrepasser les règles de la bienséance. Le bébé ne partageait pas ce souci : en mettant ses bras autour du cou de la domestique, il fit tomber à moitié la coiffe amidonnée.
    â€” Fais attention, trésor, tu vas m’arracher une mèche de cheveux…
    Le petit couvre-chef blanc pendait à demi sur le côté gauche de la tête, une petite main le secouait un peu, sans y mettre beaucoup de délicatesse.
    â€” Attendez, je vais l’enlever tout à fait.
    Fernand souleva la coiffe, enleva les épingles qui la retenaient encore aux cheveux. Le contact des boucles noires, brillantes, le troubla un peu plus que de raison. Il demeura un moment emprunté, l’ornement à la main.
    â€” Posez-la sur la table, je reviendrai la chercher tout à l’heure. Vous feriez bien d’apporter la théière dans votre bureau. La boisson restera chaude un peu plus longtemps.
    L’homme fit comme on le lui disait et emboîta le pas à la domestique. Au moment où elle s’engageait dans l’escalier, sous prétexte de faire un salut du bout des doigts à son garçon, il regarda la jeune femme gravir les marches et apprécia les cuisses et les fesses soulignées par la jupe de serge noire.
    * * *
    Des mois après son accouchement, Eugénie se plaignait encore de douleurs au bas du dos et au bas-ventre. Pour ajouter à son confort, elle plaçait un oreiller au milieu du lit, entre son époux et elle, afin d’y placer l’un de ses genoux replié. Avec une régularité un peu lassante, elle répétait :
    â€” Je me sens tellement désolée de t’imposer cela. Avec tout l’espace disponible dans cette maison, aménager une autre chambre pour toi ne poserait aucune difficulté. Ce ne serait que pour quelques mois…
    Le gros notaire la soupçonnait d’exagérer l’étendue de ses malaises. Ceux-ci, tout comme ses mouvements brusques au cours de la nuit, paraissaient avoir pour seul objectif de le convaincre d’accepter le principe des chambres séparées. Sa résistance faiblissait. Éventuellement, le manque de sommeil le conduirait à céder. Une fois exilé dans une autre pièce, ce serait pour toujours, sans

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