Le prix du sang
histoire. Thomas se recula dans son fauteuil et croisa les bras sur sa poitrine.
â Tu la trouvais cependant assez bien pour la voir pendant toutes ces années.
â Le mariage, câest autre choseâ¦
Un moment, le visage de Marie Buteau passa dans lâesprit du commerçant. Au moins, son fils nâavait pas engrossé cette demoiselle. Incapable de formuler les propos se bousculant dans son esprit, lâhomme conclut dâune voix lasse :
â Mets fin à cette histoire au plus vite. Si maître Paquet lève le nez sur toi, ce ne sera peut-être pas à cause du titre figurant sur ta carte professionnelle.
Le garçon demeura un moment songeur, puis quitta la pièce.
16
Même pour un garçon résolu à tirer le meilleur de la vie, la situation devenait inconfortable. Tous les dimanches après-midi, il regagnait le domicile des Paquet dans la Grande Allée, échangeait quelques mots polis avec les parents dâÃvelyne, puis tendait son bras à cette dernière afin dâentamer une longue promenade avec elle. Pendant deux heures, ses grands yeux gris parlaient dâun amour éperdu alors que la voix évoquait en termes posés les plaisirs raisonnables de la vie conjugale.
Jamais elle nâabordait la dimension charnelle de ceux-ci. Toutefois, à chaque pression sur ses doigts, à chaque effleurement de sa taille, le souffle paraissait sur le point de lui manquer. Ãdouard se penchait parfois pour lui murmurer des mots innocents à lâoreille, juste pour voir un trouble exquis lâenvahir.
Pareille innocence, mêlée à une sensualité ne demandant quâà se révéler, touchait profondément son compagnon. Les premiers émois physiques de cette jeune personne viendraient de lui. Il la conduirait aux ébats les plus intimes, surveillerait se révéler sur son visage les émotions les plus fortes. Personne avant lui, personne dâautre que lui, dût-elle vivre cent ans, ne profiterait de la même intimité. La seule fierté de conduire une vierge à lâautel lui permettait de contenir son désir. Ses réactions, quand il la pressait un peu de près, la trahissaient. Un peu dâinsistance, et elle sâabandonnerait toute, par amour pour lui. Toutefois, jamais il ne dépasserait les légers baisers sur les lèvres. La satisfaction de la voir frémissante, le souffle court, lui suffirait jusquâau soir des noces.
Puis, il la laissait à la porte de la demeure paternelle et retrouvait la Buick pour se rendre à la Basse-Ville. Chaque fois, tout le long du trajet, il se répétait : « Cette fois, je vais le lui dire, cela ne peut pas continuer. » Au moment où la porte de lâappartement de la rue Saint-Anselme sâouvrait sur la jeune femme blonde aux cheveux bouclés, aux yeux bleus, à la bouche rouge comme une cerise, sa résolution se dissolvait et une érection se manifestait. Lâexcitation contenue auprès dâÃvelyne se concluait avec une autre.
â Je tâattends depuis si longtemps, formulait invariablement Clémentine.
Le reproche alimentait une culpabilité mêlée de colère, sans toutefois réduire son désir.
â Les dîners familiaux sont interminables.
Il lui suffisait dâouvrir les bras pour la voir sây précipiter. Curieusement, un sexe dur contre son ventre la rassurait. « Sâil me désire autant, il doit au moins mâaimer un peu », songeait-elle. Ce constat lui faisait accepter la langue forçant sa bouche, les mains sur ses fesses.
Trois, tout au plus quatre heures plus tard, Ãdouard regagnait la Haute-Ville en grommelant :
â La prochaine fois, juré, je le lui dirai!
* * *
Depuis quelques années, excepté au moment des repas, Ãdouard se trouvait rarement à la maison. Ãlisabeth attendit quelques jours lâoccasion de lui parler en tête-à -tête. Un soir où Thomas se trouvait à une réunion politique susceptible de se terminer très tard, elle laissa la porte de sa chambre entrouverte. Un peu après onze heures, de légers bruits de pas dans lâescalier attirèrent son attention. Elle se rendit sur le palier, puis déclara à voix basse :
â Ton père mâa communiqué la nouvelle, il y a quelques jours. Jâaimerais te parler un moment.
Le
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