Le prix du sang
ton conciliant :
â Personne ne parle de ta retraite⦠Seulement, si je partageais certaines responsabilités, je me sentirais un peu mieux armé au moment de lui parler.
Lâhomme posa les coudes sur son bureau et demanda en plaçant le menton dans la paume de sa main droite :
â Tu parais avoir longuement réfléchi à la question. Alors, quelle solution as-tu imaginée pour résoudre ce problème?
â ⦠Si je prenais la direction des ateliers de confection? Cela me permettrait de tout connaître de la gestion dâune entreprise.
Le visage de Thomas trahit une certaine inquiétude. Ãdouard continua pourtant :
â Je suppose que Paquet ne trouverait pas à redire devant le nouveau directeur des ateliers de confection Picard.
â Ce poste est occupé par Fulgence Létourneau.
Le garçon ne se troubla guère.
â Il sâagit dâun simple employé. Je suis ton fils.
â Cet homme occupe cet emploi depuis environ vingt ans. Le succès des ateliers tient à sa gestion efficace et prudente. Crois-tu que je puisse le jeter à la rue maintenant?
Répondre « oui » paraîtrait insensible. Ãdouard nâosa pas sâexprimer franchement. Ni lâamitié, ni même la reconnaissance pour des services rendus, ne lui semblaient dignes dâorienter une décision dâaffaires.
â Je ne dis pas que tu devrais le mettre à pied. Il pourrait reprendre son poste de secrétaireâ¦
â Après avoir Åuvré vingt ans comme directeur! Ne dis pas de sottises.
Sans le savoir, Fulgence Létourneau jouissait de la meilleure assurance-emploi possible. Tous les soirs, il bordait le petit-fils de son patron au moment de coucher Jacques.
â Dans ce cas, Paquet va certainement me refuser la main de sa fille.
â ⦠Je peux lui parler.
â Surtout ne fait pas cela! Jâaurais lâair ridicule.
Avant la grande demande, des pères prenaient souvent lâinitiative dâune conversation. Les jeunes personnes entichées lâune de lâautre oubliaient volontiers les aspects plus terre à terre de lâexistence. Thomas sâabstiendrait toutefois de le faire. Après un moment de réflexion, il décida de rassurer un peu son fils.
â Si tu me laisses un peu de temps, je mâarrangerai pour que ta carte professionnelle porte autre chose que chef de rayon.
â ⦠Merci. Au niveau de la rémunération? Si je dois acheter une maisonâ¦
â Ne pense pas à acheter en ce moment! Les prix sont à la hausse à cause de la guerre. Dès la paix revenue, les bonnes affaires encombreront le marché.
â Mais je ne peux pasâ¦
Il sâarrêta en voyant le sourire ironique de son père.
â Mais oui, tu peux lâemmener vivre à la maison. Cela paraîtra naturel à tout le monde, et si nous la croisons tous les matins au petit déjeuner, nous saurons peut-être enfin pourquoi la donzelle se révèle tellement supérieure à un fils de marchand.
Insister ne donnerait rien. Ãdouard esquissa le geste de se lever quand son père le retint :
â Il y a encore un problème à régler, bien plus sérieux que ton statut professionnel, il me semble.
â Que veux-tu dire? demanda le garçon en posant à nouveau les fesses sur la chaise.
â Lâautre fille, celle de la Quebec Light. Tes absences de la maison sont trop fréquentes et régulières pour que je donne crédit à tes fadaises. Je nâai pas la naïveté dâÃlisabeth. Personne ne rencontre des amis à ce rythme-là .
à lâévocation de sa belle-mère, le garçon rougit. Sa voix se révéla moins assurée au moment de dire :
â Ce nâest rienâ¦
â Rien? Tu la vois depuis trois ans.
â Pas tout à fait.
Lâimpatience durcit le visage du commerçant.
â Elle ne se doute de rien, je suppose.
â Je ne lui ai jamais rien promis. Nous avons eu du plaisir ensemble, mais maintenant, jâai lââge de me ranger.
â Et lâidée de te ranger avec elle ne tâa pas effleuré?
â Voyons, câest la fille du bedeau de Saint-Michel-de-Bellechasse, commis dans une entreprise de service public.
Lâavocat Paquet ne sâavérait pas le plus prétentieux des protagonistes de cette
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