Le prix du sang
elle?
â Ce sera une excellente épouse.
Elle secoua la tête. Ses cheveux défaits, de part et dâautre de son visage, captèrent les reflets dorés de la lumière électrique. Elle pressa la main toujours sur la sienne, puis chuchota :
â Va te coucher, maintenant. Thomas devrait arriver dâune minute à lâautre.
* * *
Maître Paquet savait adopter un air sévère. Puisque sa nomination comme juge attendrait le retour des libéraux au pouvoir à Ottawa, il réservait les sourcils froncés et la mâchoire crispée au tribunal familial, quâil présidait avec sérieux.
Son bureau lambrissé de chêne sâavérait bien sombre, un peu solennel. Sur sa table de travail, le bronze représentant Lambert Closse aux prises avec un Iroquois paraissait presque gai en comparaison de lâaustérité des lieux. Devant lui, le jeune homme élégant, vêtu dâun costume de coupe anglaise, une paire de gants blancs tenue dans une main, commença :
â Je vous remercie de me recevoir⦠Monsieur Paquet, je serais infiniment heureux si vous mâaccordiez la main de mademoiselle votre fille.
Depuis le matin, Ãdouard repassait dans sa tête la formule à utiliser. Il avait même consulté le petit opuscule aux pages jaunies de la baronne de Staffe, si souvent parcouru par sa belle-mère, afin de connaître les usages du monde.
Lâavocat le toisa des pieds à la tête et se cala contre le dossier de son siège avant de demander :
â Si vous êtes devant moi aujourdâhui, je suppose que ma fille vous a déjà donné son accord.
â ⦠Il y a quelques semaines.
De dépit, le garçon se mordit la lèvre inférieure. Pareille réponse suggérait une hésitation de sa part, ou à tout le moins, un empêchement. Le père ne cilla pas au moment de demander :
â Serez-vous en mesure de la faire vivre convenablement?
â ⦠Je suis le directeur adjoint des entreprises Picard.
Le second mot, « adjoint », enlevait tout son lustre au premier. Paquet évalua le titre à sa juste valeur : un hochet offert par le père afin de faire patienter son rejeton.
â Je mâoccuperai des achats⦠compléta ce dernier.
Il regretta tout de suite lâusage du futur : il se trahissait lui-même.
â Où comptez-vous habiter?
â Chez mes parents⦠La maison est vaste, confortable.
Au moins, il nâeut pas lâindélicatesse dâajouter : « Jâen hériterai un jour. »
Lâavocat demeura songeur un moment, puis consentit dâune voix lasse :
â Si ma fille vous a déjà donné son assentiment, jâaurais mauvaise grâce à refuser le mien, nâest-ce pas?
Lâacceptation sonnait comme un refus. Ãdouard respira profondément en entendant la réponse, contemplant son futur beau-père avec une certaine timidité. Celui-ci demanda encore :
â Avez-vous pensé à une date?
â Le premier samedi du mois dâaoût conviendrait à ma famille. Sâil en allait de même pour la vôtreâ¦
â Cela nous laisse assez de temps pour tout préparer. Maintenant, il vaudrait mieux rejoindre ces dames.
Ãvelyne et sa mère attendaient au salon le résultat de la grande demande.
Tout à son agacement à lâidée de donner la main de sa cadette à un marchand au détail, maître Paquet nâavait pas un moment songé à la jolie blonde logée dans un appartement situé près de lâÃcole technique de Québec. Pourtant, sa brève enquête lui avait rapidement révélé son existence.
* * *
Comme au temps de sa fréquentation du Petit Séminaire, une fois les classes terminées, Mathieu retrouvait son poste derrière la caisse enregistreuse. Comme la Faculté de droit faisait relâche dès le mois de mai, cela allongeait dâautant sa contribution à lâentreprise familiale. Toutefois, sa carrière de vendeur de vêtements pour dames tirait à sa fin. à lâété 1918, cela sâavérait déjà convenu, le bureau dâavocat où il effectuait son apprentissage requerrait ses services à plein temps pendant la belle saison. Sâil se trouvait encore là â¦
Lorsque Marie revint un peu tardivement
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