Le prix du sang
du pays, mais je ne reconnais à aucun gouvernement le droit de nous imposer le service obligatoire pour prendre part aux guerres impériales⦠Je nâaccepterai pas la conscription, votée ou non, décrétée par le gouvernement ou non. Je serai pendu ou fusillé, mais je demanderai toujours, avant la conscription, des élections et un référendum⦠Dâailleurs, le gouvernement Borden ne nous représente plus; ses pouvoirs sont périmés, et il prend ses ordres de lâAngleterre. Or, le Canada est autonome, et nous ne devons à lâAngleterre, selon le mot de Sir Richard Cartwright, que le pardon chrétien pour le mal quâelle nous a fait.
Puis, il prononça à nouveau la phrase vieille de dix jours, répétée dans chaque réunion politique :
â On parle des atrocités allemandes en Belgique. Que lâAngleterre, avant de se voiler la face, commence par rendre la liberté aux Irlandais et cesse de les fusiller dans les rues.
La tension monta encore dâun cran. Les cris redoublèrent. Depuis le soulèvement de Pâques 1916, pendant lequel quelques centaines de patriotes avaient encerclé et tenu le bureau de poste de Dublin et des bâtiments environnants, le Royaume-Uni menait une répression cruelle contre les partisans de lâindépendance de lâIrlande. Elle était dâautant plus dure que les nationalistes avaient obtenu lâaide de lâAllemagne pour mener ce soulèvement. Dans ces circonstances, certains Canadiens français jugeaient bien ironique dâaller mourir en Flandre pour empêcher les Allemands de faire en Belgique ce que les Britanniques paraissaient soucieux de perpétuer dans la verte Ãrin.
â Ces gens devraient intervenir, cria Thalie pour couvrir le raffut autour dâelle.
Elle jeta un Åil du côté des agents de la paix.
â Lâeffectif se compose à peu près également entre Canadiens français et Irlandais, expliqua Mathieu. à leurs yeux, pareil discours doit sembler très raisonnable.
à ce moment, quelquâun cria dans la foule :
â Au Chronicle !
â Oui, oui, au Chronicle ! insistaient de nouvelles voix.
Le quotidien de langue anglaise défendait la conscription. Cela semblait un affront inacceptable à plusieurs. Des personnes se détachèrent de la multitude pour passer dans la rue Saint-Jean. Leur nombre passa à cent, puis à mille.
â Nous rentrons, prononça Mathieu en plaçant son bras autour des épaules de sa sÅur.
Lâélectricité dans lâair incita lâadolescente à demeurer coite et à lui emboîter le pas sans discuter. Le chemin sâavérait le même que celui des manifestants. Au moment où ceux-ci, hurlant et gesticulant, sâengagèrent dans la rue de la Fabrique, le garçon indiqua encore :
â Passons par la rue Garneau, puis par la ruelle. Personne ne paraît vouloir sâen prendre aux commerces, mais je ne me vois pas déverrouiller la porte devant ce troupeau affolé.
Quelques minutes plus tard, ils gravissaient lâescalier de service à lâarrière et pénétraient directement dans la cuisine de lâappartement. Depuis le couloir, Gertrude déclara dâune voix forte :
â Les voilà , madame.
Marie se trouvait dans le salon, penchée à la fenêtre. Elle se tourna, le visage préoccupé.
â Vous nâirez plus à ces assemblées.
Au ton de sa voix, aucun des deux enfants ne répliqua. Thalie lui fut même reconnaissante de ne pas limiter cet interdit à sa seule petite personne. Elle se pencha à son tour à la fenêtre.
â Personne nâa brisé quoi que ce soit?
La masse des protestataires occupait toute la largeur de la rue, obligeant les tramways ainsi que les voitures hippomobiles et automobiles à sâarrêter. Personne nâosait protester devant ces gens en colère.
â ⦠Non. à part les cris et les gestes menaçants, rien.
â Je vais descendre dans la boutique, déclara Mathieu en quittant la pièce.
Au passage, le jeune homme se munit dâun solide bâton de baseball. Bien sûr, il ne pourrait pas sâopposer à une effraction menée à plusieurs, mais sa silhouette à travers les fenêtres découragerait les moins téméraires.
â Ils se rendent
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