Le prix du sang
au Chronicle , expliqua Thalie aux deux femmes auprès dâelle.
Quelques minutes plus tard, sur la côte de la Montagne, toutes les fenêtres du quotidien volaient en éclats, défoncées à coup de briques.
* * *
Avec la belle saison, les agriculteurs se faisaient à nouveau nombreux dans le grand magasin Picard, rue Saint-Joseph. Thomas effectuait la tournée des différents rayons avec une satisfaction évidente. Si la guerre européenne laissait des régions entières dévastées, de ce côté de lâAtlantique, elle ramenait le plein emploi et les bonnes occasions dâaffaires.
Au moment de passer au rayon des vêtements pour femmes, il sâarrêta un moment, troublé par lâétrange impression de voir le passé ressurgir devant ses yeux. Ãdouard conversait de façon animée avec deux femmes, la mère et sa fille, à en juger par la ressemblance. La plus jeune cherchait vraisemblablement une robe de mariée. La scène lui rappelait étrangement Alfred, le grand excentrique capable de faire croire au pire laideron quâune jolie robe valait les meilleurs philtres dâamour. Il sâapprocha au point de pouvoir entendre son fils expliquer :
â Pour un jour comme celui-là , il convient de prendre quelque chose de gai, de fleuri.
La jeune femme, âgée de vingt ans peut-être, buvait ses paroles. à ses côtés, affichant un nombre dâannées au moins deux fois plus grand, la mère renchérit :
â La robe devra servir tous les dimanches, puis lors de mariages et de funérailles. Je conserve toujours la mienne.
â Vous pouvez vous le permettre. Vous affichez encore une silhouette de jeune fiancéeâ¦
Thomas étouffa son rire derrière sa main. Le bruit attira lâattention du garçon. Il se tourna vers lui pour déclarer :
â Papa, je passerai te voir dans quelques minutes.
Puis, sans transition aucune, il enchaîna :
â Attendez, une couleur un peu moins printanière conviendrait peut-être mieux, si vous entendez la porter fréquemment. Je vais vous montrer autre choseâ¦
Une heure plus tard, le jeune homme se présenta dans les bureaux administratifs et désigna la porte de la pièce de travail du commerçant en demandant au secrétaire :
â Le patron se trouve-t-il là ?
â Il vous attend.
Un instant plus tard, il ferma la porte derrière lui et alla sâasseoir sur la chaise placée devant le lourd bureau.
â Alors, cette robe devant servir à la fois pour des noces et des enterrements?
â La demoiselle éblouira les paroissiens de Saint-Malachie pendant les cinquante prochaines années.
Le sourire disparut bien vite des lèvres du visiteur. Il continua :
â Dimanche dernier, jâai demandé à Ãvelyne Paquet si elle acceptait de mâépouser. Elle a répondu « oui ».
â Câest pour cela que tu présentes un visage soucieux depuis ce temps? Aurais-tu préféré un refus?
Thomas demeurait un peu moqueur. Son fils se déplaça sur sa chaise, comme pour réduire son inconfort et rassembla son courage avant de dire :
â Je nâai pas encore parlé à son père. Le vieux est terriblement prétentieux. Abandonner sa plus jeune à un commerçant lui semblera sans doute une déchéance.
â Le bonhomme pourrait commencer par rembourser le solde de lâhypothèque sur sa maison bourgeoise. Cela lui donnerait une meilleure raison de faire le fier.
Ãdouard réprima son envie de rire. Comment ce diable dâhomme arrivait-il à connaître ainsi la vie de ses semblables? Il retrouva cependant sa mine préoccupée au moment de dire :
â Si je me présente devant lui pour la grande demande avec, sur ma carte professionnelle, le titre de chef de rayon, il va mâenvoyer promener, hypothèque ou pas.
Ce fut au tour de père de changer de position dans son fauteuil afin de se donner une contenance. à la fin, il prononça avec une pointe dâimpatience :
â Souhaites-tu que je prenne ma retraite afin de te permettre de mieux paraître devant cet avocat? Si sa fille est si précieuse que cela, ce vieil imbécile peut essayer de la fourguer à un parti de son choix.
Le garçon leva la main pour apaiser son interlocuteur, puis déclara sur un
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