Le prix du sang
tout mettre à ton nom.
â Dâabord, cela ne changerait rien à mon sort. Ensuite, je refuserais. Je recevrai mon héritage à ton décès, qui surviendra sans doute dans cinquante ans, à en juger par ton état de santé.
Marie demeura un moment songeuse, puis murmura :
â Françoise⦠Dâaprès son père, elle a beaucoup dâestime pour toi.
â Tu évoques vraiment un mariage hâtif pour éviter le service militaire?
Elle garda les yeux dans les siens, sans toutefois pouvoir articuler le « oui » brûlant ses lèvres.
â Je lâestime aussi beaucoup. Mais cette jolie couventine de dix-sept ans est trop jeune pour engager déjà sa vie de cette façon. Puis, crois-tu vraiment que je sois le genre dâhomme à vouloir lâutiliser de cette manière?
Après un long moment de silence, elle convint :
â Non, je ne le crois pas. Tu nâes pas ce genre dâhomme, et je serais triste que tu le deviennes.
â Je suis le genre prêt à faire son devoir pour sa famille⦠et pour son pays, même si celui-ci ne le mérite pas nécessairement.
Elle acquiesça lentement, puis détourna à nouveau son regard vers le fleuve dâun bleu profond. Mathieu posa son bras autour de ses épaules. De longues minutes plus tard, elle se leva en soupirant.
â Nous devons retourner travailler.
â Bien sûr.
Encore une fois, la routine du commerce de vêtements lui donnerait une contenance, lui permettrait de contrôler les émotions se bousculant en elle.
* * *
Marie demeura à son poste jusque vers cinq heures. Son visage devenait plus morose au gré du temps. à la fin, elle sâesquiva dans lâescalier sans regarder derrière elle. Mathieu fermerait le commerce. Trente minutes plus tard, celui-ci leva la tête au tintement de la clochette, puis reconnut Paul Dubuc. Le député vint jusquâà la caisse et déclara, une certaine émotion dans la voix :
â Elle vient de me téléphoner. Jâai pensé que ce serait une bonne idée de venir la voir⦠même si elle ne mây a pas invité.
â Une idée excellente, je vous assure. Je vous remercie pour elle, mais aussi pour moi.
Si sa mère avait lâoccasion de pleurer un bon coup dans des bras aimables, elle lui ferait ensuite meilleure figure.
â Elle mâa dit que câest par sens du devoirâ¦
â Un devoir envers moi dâabord, je crois, mais je ne pense pas quâelle puisse comprendre. Puis, je possède en plus toute une série de mauvais motifs. Le moins ridicule de ceux-là est mon désir de voir lâEurope.
Lâhomme tendit la main et serra celle du garçon en commentant :
â Je ne pense pas que jâaurais ce courage, à votre âge. Je vous admire.
â ⦠Merci, mais je ne crois pas mériter ces paroles, vraiment.
â Françoise sera peinée, et terriblement inquiète.
â Jâaimerais le lui dire moi-même. Elle quittera le couvent dans moins dâune semaine. Jâessaierai de préparer une rencontre, alors.
De la tête, le député sâengagea à garder le silence.
â Je pourrais vous inviter au Château à nouveau, pour un repas familial.
â Ou ma mère vous invitera ici. Ce serait tout naturel.
â Vous croyez que je peux monter?
Du doigt, lâhomme indiquait lâescalier conduisant à lâétage.
â Continuer jusquâà rencontrer une porte, puis frappez, et entrez.
Il fit comme on le lui conseillait. Thalie pénétra dans le commerce juste à temps pour voir lâhomme disparaître. Elle chercha sa mère des yeux un instant.
â Je le lui ai dit, expliqua Mathieu.
â ⦠Et?
â Elle a appelé son preux chevalier à la rescousse. Celui-ci mâa félicité. Il monte maintenant la consoler.
â Je veux bien prêter mon grand frère au roi dâAngleterre. Mais si elle se met en tête de me dénicher un beau-pèreâ¦
Son visage exprimait tout son dégoût pour une éventualité de ce genre. Elle crut bon dâajouter, se sentant un peu coupable de son égoïsme :
â Cela même si le bonhomme se révèle très bien. Et ses filles aussi.
â Je ne pense pas que celui-ci oserait se mêler de ta vie. Puis,
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