Le prix du sang
maman ne le lui permettrait pas.
Déjà , elle enlevait son chapeau tout en regagnant son poste de travail habituel.
* * *
Paul, debout sur la dernière marche, frappa à la porte, puis ouvrit pour se retrouver devant Gertrude, un peu surprise. Lâappartement des Picard nâaccueillait que très peu de visiteurs.
â Vous la trouverez dans sa chambre, grommela-t-elle en pointant lâune des portes sâouvrant sur le couloir.
Lâhomme cogna dâabord doucement avant dâouvrir en entendant un « oui » étouffé. Couchée en travers de son lit, Marie leva vers lui un visage chiffonné par les larmes.
â Jâai pensé⦠commença-t-il en lui tendant les bras.
Elle se releva bien vite, sâécrasa contre le corps de son compagnon, laissant les traces de ses larmes sur le revers de son veston.
â Pourquoi me fait-il cela?
â Crois-tu vraiment quâil désire te faire du mal?
Sans décoller son visage de la poitrine, elle lâagita doucement de droite à gauche. Les mains masculines caressaient son dos, se perdaient sur sa nuque, sous la lourde tresse de ses cheveux. à la fin, elle se recula un peu pour implorer :
â Tu pourrais certainement intervenir pour lâempêcher de faire une folie de ce genre. Le médecin militaire pourrait le déclarer inapteâ¦
Des affections médicales parfois bénignes, telles les pieds plats, permettaient dâéchapper à lâenrôlement. Des volontaires rejetés de cette façon se plaignaient parfois fort amèrement de leur mauvaise fortune dans les pages du Chronicle .
â Je nâai pas ce pouvoir, tu le sais. Mais surtout, je ne le ferais quâà sa demande. Non seulement je respecte sa décision, mais je lâadmire.
â Tu nâes pas sérieux!
Elle se dégagea de ses bras pour sâéloigner dâun pas, posant sur lui de grands yeux sombres.
â Câest un coup de tête de gamin, insista-t-elle. Il faut lui faire reprendre ses esprits.
â Câest la décision dâun homme posé, réfléchi.
Marie demeura un long moment immobile, combattant les sanglots lui nouant la gorge. Elle confessa enfin, un ton plus bas :
â Je ne peux pas me faire à cette idée. Les gens meurent par milliers, chaque jour.
â Une forte majorité revient.
â Estropiée.
â Pas tous, tu le sais bien.
Elle accepta de revenir sâappuyer sur sa poitrine, puis fit doucement :
â Il se trouve encore derrière sa caisse enregistreuse, et déjà jâai peur.
â Câest le rôle des parents, nâest-ce pas? Laisse-le devenir un homme.
De sa part, la remarque avait quelque chose dâironique. Elle lâentraîna sur le lit, sâétendit de tout son long contre son corps. Après un moment à sentir la main robuste aller et venir sur toute la longueur de son dos, elle dut convenir que lâinquiétude partagée se supportait infiniment mieux. Quand, un peu après six heures, le frère et la sÅur se présentèrent à lâappartement, ils trouvèrent le couple dans le salon, assis de part et dâautre de la fenêtre grande ouverte, chacun un verre de cognac à la main. Le plus naturellement possible â câest-à -dire avec une certaine timidité â, Marie annonça :
â Paul soupera avec nous.
â Quelle belle idée, consentit Thalie. Y ai-je droit, moi aussi?
Elle voulait dire : de prendre une boisson.
â Pour une jeune fille en pleine croissanceâ¦
Paul pouffa de rire. La femme se reprit en posant des yeux amusés sur lui :
â Juste un peu, alors.
â Je vais me changer et je me joins à vous.
Au moment où lâadolescente revint, Mathieu lui tendit un verre. Pour la première fois devant témoin, elle but un cognac à petites gorgées, réprimant chaque fois une grimace. En cachette, bien sûr, elle avait déjà goûté à toutes les bouteilles.
En passant à table, Marie demanda en contrôlant tant bien que mal le ton de sa voix :
â Quand penses-tu aller au bureau de recrutement?
â Pas avant juillet, répondit le garçon, troublé.
Indiquer une date donnait à son projet une réalité nouvelle.
â Thalie aura alors terminé lâécole, elle pourra tâaider au
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