Le prix du sang
magasin.
â Il mâa même montré comment utiliser la caisse, déclara la jeune fille en prenant sa place.
« Ãvidemment, songea la mère, ces deux-là complotent depuis des semaines. » Elle regarda sa fille un moment. Cette dernière gardait un visage serein, alors que son frère adoré projetait dâaller à la guerre. Pour les mois à venir, ce serait lâexemple à suivre.
â Je lâaccompagnerai, continua lâadolescente, pour être certaine quâil ne se joindra pas à la marine. Notre cher grand sot ne sait pas nager.
La voix se brisa un peu sur le dernier mot. Elle aussi vivrait avec lâinquiétude vrillée au cÅur. à lâinstant où Gertrude consentait à sâasseoir à table, après avoir répété trois fois « Voyons, cela ne se fait pas devant un invité », Marie leva son verre presque vide pour déclarer :
â Buvons en lâhonneur de notre ami, mais aussi à la santé de Mathieu, avec lâespoir dâun prompt retourâ¦
â Et cela en un seul morceau, insista Thalie, des larmes dans les yeux.
Sous la table, sa main gauche chercha le flanc de son frère, comme pour se rassurer. Gertrude sentait elle aussi lâémotion monter en elle. Sa voix sortit de sa gorge comme un croassement :
â Tu as toujours le boulon que je tâai donné, il y a une dizaine dâannées?
â ⦠Je suppose, répondit Mathieu après une pause. Quelque part dans mon vieux coffre.
â Mets-le dans ta poche. Ne tâen sépare jamais.
Un peu plus et la vieille domestique menaçait de se porter volontaire aussi, pour continuer de garder un Åil sur lui.
* * *
Le dimanche 24 juin, après avoir téléphoné pour aviser de son arrivée, Paul se présenta à la porte du commerce de la rue de la Fabrique. Mathieu se trouvait au rez-de-chaussée pour lui ouvrir, ainsi quâaux deux filles. Les hommes échangèrent une poignée de main. Amélie mérita une bise sur la joue. Puis, le grand garçon se retrouva devant Françoise, intimidé plus que de raison. La poignée de main ne convenait guère. La cadette prononça dâune voix amusée, proche du fou rire :
â Papa, viens voir les robes de ce côté, sinon ceux-là nous ferons attendre jusquâà lâheure du souper.
Lâhomme se laissa détourner de son devoir de chaperon au point de diriger ostensiblement ses yeux vers un mur.
â ⦠Françoise, je suis très heureux de vous revoir.
â Moi aussi, vraiment.
Une rougeur monta sur le cou, progressa vers les oreilles. Il se pencha pour poser les lèvres sur sa joue droite. Elle tendit ensuite la gauche en fermant les yeux à demi.
â Vous avez fini? clama Amélie, très infidèle à son engagement à la discrétion, car elle profitait de la présence dâun miroir pour surveiller la scène. Jâai faim.
â Nous pouvons monter, consentit Mathieu en riant. Maman se demande sans doute encore si son rôti sera à la hauteur.
Afin de consacrer tout leur temps à la préparation du repas, la maîtresse de maison et la domestique avaient préféré se rendre à la basse-messe, tôt le matin. Toutes les attentes furent satisfaites sur ce front. Les adultes â Thalie se comptait naturellement parmi eux, mais pas Françoise â en arrivaient au porto quand le jeune homme proposa à cette dernière :
â Accepteriez-vous de venir marcher un peu avec moi? Prendre lâair me fera du bien. Et surtout, jâaimerais vous parler.
Sa mine montrait bien un peu dâinquiétude. La fille sage consulta son père du regard pour recevoir son assentiment :
â Tu peux y aller.
â Moi aussi, déclara Amélie en repoussant sa chaise.
â Non, tu restes avec nous, précisa Paul. Ils veulent parler entre grandes personnes.
La remarque ajouta un peu plus de rose aux joues de lâaînée et une moue boudeuse sur le visage de la cadette. Thalie joua à la bonne fée en disant :
â Nous irons manger un cornet de crème glacée sur la terrasse Dufferin, tout à lâheure. Je te lâoffre.
â Tous ensemble?
â Bien sûr, Mathieu et Françoise nous rejoindront au kiosque à trois heures.
Des yeux, elle obtint lâassentiment du
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