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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Beaucoup.
    Additionnée aux larmes, ces mots-là aussi constituaient un « Je t’aime » fort passable. Surtout, elle inclinait la tête vers l’arrière, fermait les yeux à demi. Mathieu ne se déroba pas, baisa la bouche offerte, découvrit que ses lèvres ne voulaient plus s’en détacher. Il encercla sa taille fine, caressa son visage de petits baisers légers, effaçant les larmes au passage, puis revint à son point de départ.
    Le contact fut à la fois suffisamment long et étroit pour permettre à Françoise de sentir quelque chose contre son ventre. Elle ne se déroba pas, accepta cette réponse toute simple à la question qui, au cours des derniers mois, lui venait la nuit : « Suis-je assez belle pour lui? »
    L’homme dut rompre l’étreinte. Dans un sourire, il murmura :
    â€” Ne privons pas Amélie de notre présence.
    â€” Ne nous privons pas de crème glacée.
    Mathieu garda son bras autour de la taille de sa compagne jusqu’à la place d’Armes, puis se contenta ensuite de la main gantée au pli de son coude. Elle s’appuyait sur lui avec une certaine langueur, cherchant le contact du haut de la cuisse contre sa hanche. L’attente commençait déjà.
    * * *
    Pour Clémentine, les lundis se ressemblaient tous, à la Quebec Light. Dans une grande salle, derrière autant de tables, une douzaine de jeunes femmes s’activaient dans un amoncellement de paperasse. Certaines envoyaient des factures dans les divers commerces et domiciles privés abonnés au réseau de distribution d’électricité. Les autres recevaient les paiements, le plus souvent sous forme de chèque, parfois en argent comptant glissé dans une enveloppe. À une extrémité de la pièce, un bureau se trouvait placé sur une estrade. Le superviseur de tout ce petit monde dominait les employées, un peu comme un maître dans une petite classe.
    Depuis le matin, Clémentine sentait les regards de ses consœurs de travail se poser sur elle, entendait des chuchotements étouffés. Quand, un peu après dix heures, elle demanda l’autorisation de se rendre aux toilettes, l’une d’entre elles souhaita s’absenter aussi. Le chef du service fronça les sourcils, soupçonnant immédiatement un désir de babiller aux frais de la compagnie, puis grommela finalement en anglais :
    â€” Oui, vous pouvez y aller.
    Un instant plus tard, quand la jolie blonde sortit du petit cabinet, sa collègue s’appuya sur l’un des éviers. Elle fit, une certaine sollicitude dans la voix :
    â€” Cela a dû te faire souffrir terriblement. Pourquoi ne t’es-tu pas confiée à nous?
    â€” De quoi parles-tu?
    L’autre afficha sa surprise et souffla à voix basse :
    â€” Le mariage.
    â€” Quel mariage?
    â€” … Celui d’Édouard Picard, bien sûr.
    Clémentine sentit son cœur s’emballer et le sang lui monter au visage. Son interlocutrice bredouilla :
    â€” … Tu… Tu ne le savais pas?
    Elle fit mine de s’en aller. Deux mains tremblantes se posèrent sur ses avant-bras pour l’immobiliser.
    â€” De quoi parles-tu, enfin?
    â€” En arrivant ce matin, Solange nous a dit avoir entendu le prêtre de la basilique proclamer le troisième ban pour le mariage d’Édouard Picard et d’une fille Paquet.
    Le rouge quitta le visage de la jeune femme pour faire place à une pâleur un peu inquiétante. Elle articula difficilement :
    â€” Ce n’est pas vrai. C’est impossible.
    â€” Tu ne le savais vraiment pas?
    L’incrédulité marquait la voix de sa compagne de travail. Ne sachant comment enchaîner, elle demeura un moment silencieuse alors que Clémentine s’appuyait sur la porcelaine d’un évier, mal assurée sur ses jambes flageolantes. Seul son orgueil l’empêchait de hurler de douleur. Après un long moment, elle prononça d’une voix blanche :
    â€” Je ne peux pas y retourner…
    â€” Je dirai au patron que tu es malade.
    Sa désertion lui vaudrait la perte d’une journée de salaire, et surtout, une mauvaise note à son dossier. Mal à l’aise, sa collègue se retira enfin. Clémentine retourna dans le cabinet pour s’asseoir à nouveau sur la cuvette de porcelaine, faute

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