Le prix du sang
Nous nous inquiéterons ensemble.
Mathieu posa sa main sur le dossier du banc. Même sâil ne la touchait pas, la jeune fille se trouvait dans le cercle de son bras. Elle ferma son ombrelle pour la poser en travers de ses genoux et se plaça si près de lui que son bras toucha son flanc.
â Je préférerais vous épargner ce souciâ¦
Elle leva la main, mit le bout de ses doigts gantés sur ses lèvres.
â Ne dis rien.
La main du garçon se déplaça sur lâépaule, exerça une pression légère, puis revint sur le banc. Les mots ne servaient plus à grand-chose. Le silence dura de longues minutes. à la fin, le sous-lieutenant jugea de son devoir de préciser :
â Je ne sais pas combien de temps je serai parti.
Elle le regarda brièvement, ramena ses yeux vers le centre de la rivière du Loup.
â Ni même si je reviendraiâ¦
â Tu reviendras. Jamais je nâenvisagerai une autre possibilité.
La voix sâavérait grave, un peu hésitante, comme si une main invisible serrait son cou fin et pâle.
â Si jamais tu acceptais de voir un autre garçon, pendant mon absenceâ¦
â Cela ne se produira pas.
â ⦠Je comprendrais, continua Mathieu, comme sâil nâavait rien entendu. Jâai décidé seul de mâenrôler, tu nâas pas à en subir les conséquences.
Les yeux gris revinrent vers lui, les paupières lourdes de larmes.
â Tu me connais mal. Je tâattendrai tout le temps nécessaire. Jâaccepte ta décision, même si je ne la comprends pas. Il me suffit de savoir que câest important pour toi.
Une perle de rosée descendit sous lâÅil gauche, roula sur la joue. Lâhomme se pencha pour lâeffacer de ses lèvres, effleura la bouche tout en posant sa main contre son épaule. Tout lâaprès-midi, la jeune fille resterait recroquevillée dans lâarc de son bras.
* * *
En dâautres circonstances, Ãdouard aurait sans doute accepté la dépense dâun voyage de noces en Europe. Malheureusement, la guerre sur le Vieux Continent rendait la chose tout à fait impossible. La côte de la Virginie fournissait une alternative raisonnable. Pendant trois semaines, un grand hôtel construit en bois et orné, sur la façade, dâune immense galerie couverte donnant sur la mer, abrita les amours des nouveaux mariés. Ãvelyne se permit même lâaudace de revêtir un maillot de bain bien impudique â il découvrait ses mollets et ses bras et, une fois mouillé, collait à son corps de très près â afin de profiter un peu de la caresse de lâeau de mer.
à la fin du mois dâaoût, les époux regagnèrent le domicile des Picard, rue Scott. Un peu de la même façon que chez les Dupire, trois ans plus tôt, Thomas avait consenti à effectuer certains aménagements afin de rendre la cohabitation plus facile. Heureusement pour la nouvelle venue, lâatmosphère de la demeure se révélait agréable. Ãlisabeth entendait multiplier les efforts afin de lui rendre la transition facile.
Au lendemain de son retour, le couple se retrouva à la table familiale pour le déjeuner. Ãvelyne gardait les yeux modestement baissés, les joues un peu roses, comme si elle demeurait vaguement gênée de partager la couche dâun homme.
â Avez-vous bien dormi? questionna la maîtresse de maison en lui versant du café.
Son arrivée entraînait déjà une petite rupture avec la tradition : la consommation exclusive de thé prenait fin. Les domestiques devraient se faire à ce changement.
â Oui, madame, très bien.
â Nous avions convenu dâutiliser nos prénoms.
â Je⦠Je suis désolée.
Les yeux gris se perdirent dans la contemplation de la confiture. Thomas regardait la jeune femme avec un sourire amusé. La demoiselle sâavérait jolie, bien élevée, dâune innocence sans doute charmante aux yeux de son fils. Toutefois, les réticences de maître Paquet de lâabandonner à un marchand lui paraissaient ridicules, tellement elle semblait fade à côté dâÃlisabeth, même si celle-ci comptait plus de deux fois son âge. Ãdouard le sortit de ses réflexions en demandant :
â Rien de nouveau, au magasin?
â La
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