Le prix du sang
son compagnon du plat de ses mains, pour lâéloigner.
â Maintenant, va-t-en.
Il acquiesça, posa à nouveau sa bouche sur la sienne, puis sortit sans un autre mot.
* * *
Amélie retrouva le monastère sans trop ronchonner. Françoise revint à lâappartement de la rue de la Fabrique au moment du souper, puis passa la soirée au salon avec Marie et Thalie. Le trio parcourut des magazines dans un silence quasi complet, chacune songeant au jeune militaire, à son départ prochain pour lâEurope. Vers neuf heures, la jeune femme se leva en annonçant :
â Je vais défaire ma malle et me coucher. Demainâ¦
â Tu commenceras ton travail avec moi, compléta la marchande. Tout ira très bien, jâen suis sûre. Bonne nuit, Françoise.
â Bonne nuit, Marie. Bonne nuit, Thalie.
Une fois dans la pièce, elle pendit ses quelques vêtements dans la garde-robe. Du bout des doigts, elle effleura les deux complets de Mathieu, répéta le même geste avec les chemises, le linge dans la commode. Quarante minutes plus tard, après un passage dans la salle de bain, en chemise de nuit, elle sâaccroupit sur ses talons, toucha les livres placés sur des étagères, hésita entre Conan Doyle et Maurice Leblanc, puis opta pour le second.
Elle en était seulement à la seconde page quand trois petits coups sur la porte attirèrent son attention.
â Oui?
Thalie passa la tête dans lâouverture et sâenquit :
â Jâai vu de la lumière sous la porte. Tu ne dors pas?
â Non⦠Je me sens un peu nerveuse.
â à cause du magasin? Cela ira très bien, je tâassure.
â Pas juste cela⦠Habiter cet appartement, me trouver dans son litâ¦
Elle marqua une pause, un peu inquiète de lâimpression laissée par ces mots. Partager lâintimité dâun homme, même si celui-ci se trouvait dans lâimmense village de toile de Valcartier, la troublait. Tous les objets familiers le rappelaient à sa mémoire. Surtout le lit, pourtant avec des draps lavés de frais, semblait porter son odeur.
â Je vais lire tous ses livres, ajouta-t-elle après une pause. Lire les mêmes motsâ¦
Thalie lui adressa un vaillant sourire. Elle tendit la main en disant :
â Viens chez moi un moment.
Devant ses yeux interrogateurs, elle expliqua.
â Dans ma chambre. Ici, la fenêtre donne sur lâorphelinat des sÅurs de la Providence : un point de vue un peu trop triste pour moi.
Françoise posa le roman ouvert à plat sur le lit et accepta la main tendue en sortant de sous les couvertures. Thalie se trouvait aussi en chemise de nuit, ses cheveux défaits, répandus sur ses épaules. De lâautre côté du couloir, elles pénétrèrent dans la chambre.
â Presque tous les soirs, avant de me coucher, Mathieu venait me voir quelques minutes. Jâespère que tu feras la même chose.
Elle conduisit sa compagne jusquâà lâottomane placée près de la fenêtre ouverte. Ãpaule contre épaule, leurs coudes posés sur le rebord, elles contemplèrent les façades de la rue Buade, la silhouette de lâhôtel de ville.
â Jâaime contempler la ville dans lâobscurité. Tout est si paisible.
â Tu crois quâon peut nous observer? Nous sommes en chemise de nuitâ¦
â Comme la lumière est éteinte, non. Tu vois, on ne distingue rien dans les maisons, de lâautre côté. Câest la même chose dans lâautre sens.
La brise fraîche leur caressait le visage. Lâinvitée se laissa gagner par la sérénité du moment.
â Mathieu venait ici?
Les habitudes du garçon fascinaient la jeune femme. Elle en aurait pour de longues semaines à faire la liste de ses manies, de ses caprices, comme pour composer une présence.
â Tous les soirs, depuis que je suis toute petite. Le meilleur grand frère, tu sais?
â Je nâen doute pasâ¦
Elle se défendit dâéprouver un peu de jalousie, puis enchaîna après une pause :
â Il mâa dit que tu penses à devenir médecin.
â Oui. Au terme de lâannée scolaire, je pourrai subir les examens dâadmission des universités anglaises. La directrice du High School affirme que McGill acceptera bientôt des femmes dans ce
Weitere Kostenlose Bücher