Le prix du sang
jamais personne dâautreâ¦
Il sâarrêta, rougissant, incapable de fixer les yeux de sa compagne. La voix de celle-ci lâatteignit en même temps que sa main se posa sur la sienne :
â Je te remercie de tout mon cÅur, mais nous ne le pouvons plus.
â ⦠Que veux-tu dire?
Ses yeux, maintenant fixés dans les siens, trahissaient son désarroi.
â Françoise et Mathieu sont en train de se dire quâils sâaiment. Nous ne savons pas comment cette histoire se terminera, mais un mariage entre nous les empêcherait de sâunir un jour à leur tour. Je ne connais pas le droit canon, mais entre un demi-frère et une demi-sÅurâ¦
Paul la contempla longuement, puis concéda enfin :
â Cela ne mâavait pas du tout effleuré lâesprit.
â Je me dois dâêtre tout à fait honnête avec toi : même sans ce motif, je refuserais ta demande.
Paul essaya de retirer sa main. Elle sâaccrocha à ses doigts.
â En tant que veuve, je possède et dirige mon commerce à ma guise. Je suis responsable de ma propre vie, de mon avenir.
â Je ne me mêlerais de rienâ¦
â Je te crois. Tout de même, aux yeux de la loi, je ne disposerais plus de rien. Puis tôt ou tard, tes collègues députés murmureraient dans ton dos au sujet de ta femme commerçante. Tu désirerais que je cesseâ¦
Les yeux sombres de la femme ne quittaient pas les siens. Son affection pour lui se mélangeait à une sourde détermination, celle de ne jamais se trouver à nouveau à la merci de quiconque. La petite main crispée sur ses doigts témoignait dâune force étonnante.
â Je suis ta femme depuis un an. Aucune bénédiction, aucun contrat notarié ne peuvent augmenter ou réduire mon attachement pour toi. En doutes-tu?
â Non. Moi non plus, je nâai pas besoin dâun curé pour mâattacher à toi. Sauf que jâaimerais dire à haute voix que je suis avec toi.
â Ne crains rien. Juste à nous voir nous promener dans la rue, les gens avec deux sous de jugement le comprennent très bien. Nous ne sommes pas discrets.
Paul se pencha pour poser ses lèvres sur celles de sa maîtresse. Au moment de reprendre sa place, il précisa :
â Sâil ne sâagissait que de tes réticences, jâinsisterais. Je suis pas mal convaincant, tu sais, et je pense être capable de concocter un contrat de mariage capable de te rassurer. Mais tu as raison à propos des enfants. Si on lui en laisse la chance, Françoise voudra porter les enfants de ce braveâ¦
Marie rendit la pression des doigts et tenta de chasser de son esprit le véritable sens des mots « Si on lui en laisse la chance ». Des jeunes gens mourraient à la guerre sans laisser de descendance. Paul comprit son inquiétude et essaya de changer le cours de sa pensée en demandant :
â Tu penses faire dâune fille timide une bonne vendeuse?
â Sans aucun doute. Elle est si gentille que les clientes achèteront juste pour ne pas la décevoir.
â Tu lui donnes combien de temps pour te tutoyer?
La nouvelle intimité entre elles lâavait un peu ému, lors du souper de la veille.
â Octobre.
â Ce sera peu orthodoxe, entre une belle-mère et sa bru.
â Comme tu as pu le remarquer, je ne suis pas une femme ordinaire.
Il sâinclina à nouveau pour lâembrasser. Si quelquâun, parmi les voisins, se penchait à ce moment au-dessus de sa haie, la vraie nature de leur relation serait commentée dans tout le village à lâheure du souper.
* * *
Les militaires profitaient de certains avantages, même dans une province tellement réfractaire à lâenrôlement. Parmi ceux-ci figurait le privilège de marcher dans un parc avec une jolie fille pendue à son bras. Si lâhomme sâavérait élégant, il pouvait même passer son bras autour de la taille de la demoiselle sans trop faire sourciller.
â Si je ne savais pas quâà ce moment la date de ton embarquement sera terriblement proche, jâaurais hâte à lâautomne prochain, laissa entendre Françoise au moment de sâasseoir sur un banc dans le parc longeant la rivière.
â Câest gentil à toi dâavoir accepté. Maman sera moins seule.
â Et moi aussi.
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