Le prix du sang
son fauteuil et sourit gentiment avant dâaffirmer :
â En réalité, je suis égoïste. Ma proposition fera plaisir à Mathieu, à Paul et à toi, tout en réglant un problème très réel de personnel. Trois personnes voudront me faire plaisir à leur tour. Tu crois que je serai perdante?
â Je ne pense pas, Marie.
Le bruit des sabots dâun cheval dans la rue attira leur attention. Paul allait les trouver particulièrement souriantes.
* * *
â Ma fille, vendeuse?
Le député paraissait soucieux. Afin de sâéloigner des oreilles bienveillantes et curieuses de tante Louise, le couple avait migré, le thé glacé à la main, dans une gloriette située au fond de la cour. La période du grand deuil étant terminée depuis plusieurs mois, la famille Dubuc pouvait maintenant passer ses dimanches dans des atours mieux adaptés à la période estivale. Paul paraissait plutôt bien dans son costume de lin pâle, un chapeau de paille sur la tête.
â La fonction ne sâavère pas indigne à tes yeux, jâespère?
Le sourire amusé de Marie ramena son compagnon à de meilleurs sentiments.
â à moi, jamais. Mes électeurs, toutefoisâ¦
â Juges-tu vraiment utile de le leur apprendre du haut dâune estrade, lors de la prochaine campagne électorale?
â Je suppose que pendant tout le prochain siècle, les candidats libéraux gagneront tous les sièges de la province en murmurant le mot « conscription ».
â Alors pourquoi ne dis-tu pas : « Bravo, quelle excellente idée »?
Paul contempla le bout de ses doigts un moment, évitant de répondre vraiment.
â Tu imagines combien ce sera exigeant pour toi de la former. Puis, elle est si timideâ¦
â Je perds mon temps à former des gamines sans aucune expérience de travail. Toutes me désertent après six semaines pour regagner une usine de munitions. Quant à sa timidité, préfères-tu la garder rougissante toute sa vie?
â Non, bien sûrâ¦
â Alors donne-lui la chance de voir des gens. Tante Louise paraît bien gentille, mais je ne la crois pas très compétente pour accompagner une jeune fille dans le monde. Mais si Thalie déteint juste un peu sur elleâ¦
Lâhomme sourit en se souvenant du caractère frondeur de la fille de sa maîtresse.
â Ce genre dâassurance ne paraît pas contagieux, sinon Amélie aurait contaminé son aînée⦠Tu es certain que cet arrangement ne tâennuiera pas?
â Elle couchera dans la chambre de Mathieu, apprendra à vendre des sous-vêtements aux dames de la Haute-Ville. Tu auras la meilleure raison du monde de venir manger à la maison.
â Elle saura⦠pour nous.
â Elle sait depuis un an. Si elle avait un doute, depuis la nuit dernièreâ¦
Paul changea de position sur sa chaise, soudainement très mal à lâaise. Soucieux dâéchapper aux oreilles attentives de sa sÅur aînée, il avait préféré monter à lâétage au milieu de la nuit au lieu de demander à sa maîtresse de descendre le rejoindre. Si les craquements de lâescalier, puis les murmures étouffés dans la chambre, avaient échappé à tous les occupants de lâétage, cela tenait du miracle.
â Je⦠Je ne veux pas donner le mauvais exemple.
â Alors tu devras te priver de tes visites rue de la Fabrique.
Depuis le jour où Mathieu avait annoncé à sa mère son désir de sâenrôler, lâhomme était venu manger à lâappartement à quelques reprises, lors de ses passages à Québec. Tout naturellement, il sâétait attardé chaque fois après que les enfants se soient retirés dans leur chambre. Le sourire de Marie témoignait de sa conviction que son amant ne renoncerait pas facilement à cette nouvelle routine.
Après une longue pause, lâhomme poussa un soupir, puis se résolut enfin à avouer le fond de sa pensée à voix basse :
â Ta proposition, relativement à Françoise, me prend totalement au dépourvu. Je comptais aussi te surprendre, aujourdâhui.
De nouveau, il se perdit dans ses pensées, puis plongea :
â Jâaimerais tâépouser. Mon deuil est terminé, je sais que je ne désirerai
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