Le prix du sang
reproche implicite à lâégard de la visiteuse. Paul aurait certainement bien du mal à renoncer à ses rendez-vous dominicaux clandestins. Elle tenta de corriger son indélicatesse en ajoutant bien vite :
â Il voudra visiter Amélie au monastère des ursulines.
â Les droits de visite sont calculés si chichement, assura Marie en affichant un sourire complice. Il lui devient difficile de se multiplier.
Françoise rougit un peu, sourit aussi. « La grande fille sage nâa rien dâune sotte », conclut la femme avant de révéler ses intentions.
â Si nous nous y mettions toutes les deux pour le convaincre, croyez-vous que votre père vous laisserait occuper un emploi plutôt digne et loger dans la chambre dâune maison bien tenue?
â ⦠Je ne sais pas. Il est si soucieux de bien paraître aux yeux de ses électeurs.
â Je ne parle pas dâune usine de munitions. Plutôt dâune boutique respectable, où même des députés viennent acheter de jolies robes à leurs filles adorées.
Le rouge monta sur le cou de lâadolescente au moment où elle saisit le sens de ces paroles.
â Je ne sais pas si je sauraisâ¦
â Si le travail de vendeuse se trouve à ma portée et à celle de Thalie, vous vous débrouillerez très bien. Il sâagit juste de vouloir essayer.
â Je suis si timideâ¦
â Aux yeux de Mathieu, ce nâest pas un si grand défaut. Si, de votre côté, vous souhaitez gagner un peu dâassurance, le magasin ALFRED vous procurera une meilleure opportunité de le faire que cette grande maison désertée pendant tout lâhiver.
Françoise cligna des yeux. Ses paupières se chargèrent de larmes.
â Je⦠je ne sais pas.
Marie se leva à demi pour approcher son fauteuil de celui de sa compagne. Elle se pencha un peu pour la regarder de plus près et prendre sa main.
â Nous allons toutes les deux nous inquiéter de cet adorable fou décidé à jouer au soldat. Sa chambre sera vide, vous pourrez lâoccuper. Au High School, Thalie commencera lâannée préparatoire aux examens universitaires. Toutes ses soirées seront consacrées à ses livres. Pourquoi ne pas nous entraider? Nous nous tiendrons compagnie, toutes les deux.
â Mais, vendeuse?...
â Jâai un vrai problème avec le personnel depuis deux ans. Les usines de munitions versent de meilleurs gages que moi.
â Je ne sais rien faireâ¦
â Alors que jâavais votre âge, mon mari, qui était mon patron à lâépoque, mâa dit de ne pas répéter une chose pareille, car même si elle nâétait pas vraie, les gens finiraient par le croire. Câétait un excellent conseil. Je vous lâoffre à mon tour.
Un nouveau clignement des yeux fit couler les larmes sur les joues de la jeune fille. Marie les essuya du bout des doigts, déclenchant une petite ondée sans le vouloir. Privée de ce genre de tendresse depuis longtemps, le geste atteignait Françoise au cÅur.
â Je vous donnerai la même chose quâà nâimporte quelle débutante, en retenant le prix de la pension. Ensuite, le salaire augmentera en proportion de votre performance.
â Je nâai besoin de rienâ¦
â Vous êtes incorrigible. Dire cela, câest comme affirmer ne savoir rien faire.
Le bout des doigts demeurait sur sa joue.
â Je ne sais pas si papaâ¦
Cela valait un assentiment. De la crainte dâaccepter, elle passait directement à celle dâun interdit paternel.
â Crois-tu vraiment que le député de Rivière-du-Loup peut me refuser quelque chose de raisonnable, ou que moi-même je puisse refuser quelque chose à ce digne représentant du peuple?
Le premier tutoiement passa inaperçu devant le sous-entendu contenu dans le propos. Lâexpression troublée de Françoise témoignait de sa parfaite compréhension de la situation. Elle aussi ne saurait rien refuser au sous-lieutenant qui montait dans un train au même moment, à Lévis.
â Madame, vous êtes très généreuseâ¦
â Marie. Plus de « Madame » entre nous. Et le jour où tu te sentiras assez à lâaise, tu me diras « tu ».
â Je nâoserai pas⦠Marie.
La visiteuse se cala dans
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