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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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qui reculait d’une tranchée à l’autre depuis dix ans, renchérit le prêtre.
    Assimiler la lutte pour la prohibition aux combats meurtriers dans les plaines de Flandre ou l’est de la France permit aux catholiques de choc de la paroisse de se gonfler la poitrine. Eux aussi profitaient d’une gloire martiale.
    â€” La victoire les a déjà récompensés au centuple de leurs efforts et de leurs sacrifices; mais la satisfaction entière, profonde, qu’ils ressentaient jeudi dernier et qui grandissait à mesure que le succès apparaissait plus éclatant, n’est pas leur seule récompense. La leçon, l’enseignement qui se dégagent de la dernière lutte, auront, nous en avons le ferme espoir, une portée beaucoup plus lointaine. Les catholiques viennent de constater ce qu’ils peuvent lorsqu’ils veulent s’unir et faire abstraction de tous les intérêts, politiques ou autres. Ils ont compris en même temps la raison de certains échecs antérieurs. La leçon portera ses fruits.
    Thomas crispa les mâchoires, heurté dans ses principes libéraux. La question de la prohibition avait une importance limitée, comme l’indiquait le curé Buteau. L’Église profitait toutefois de l’occasion pour démontrer toute sa puissance. Aucun politicien ne pourrait s’aventurer dans une avenue nouvelle sans au préalable recevoir l’approbation des porteurs de soutane. Plus personne n’ignorerait cet état de choses.
    â€” Des cent dix-neuf arrondissements contenus dans la ville, seulement treize ont dégagé une majorité antiprohibitionniste. Et dans cette lutte si noble, nos belles paroisses ouvrières, soucieuses de respecter les enseignements de nos évêques, donnent l’exemple. Dans le quartier Jacques-Cartier, quatre cent quatorze votes ont appuyé la prohibition et aucun le parti adverse. Dans les quartiers Limoilou, Saint-Jean et Saint-Vallier, les « secs » ont obtenu respectivement trois cent soixante-deux, trois cent quarante-deux et sept cent cinquante et une voix, nos opposants, aucune. Chez nos voisins de Saint-Sauveur, quatre cent quarante-deux personnes ont préféré la vertu, le vice a obtenu neuf voix seulement.
    Dans la grande église, les paroissiens s’agitèrent un peu, comme torturés par l’envie d’applaudir devant la si merveilleuse moralité affichée par les classes populaires.
    â€” Dans notre belle paroisse de Saint-Roch, quatre cent soixante-cinq des nôtres se sont prononcés contre la vente de boissons enivrantes et aucun en faveur de celle-ci.
    Après encore quelques phrases montrant sa satisfaction, l’abbé Buteau descendit le petit escalier en demi-cercle de la chaire en affichant la fierté du devoir accompli. Il ressemblait à un croisé ayant terrassé des milliers d’infidèles.
    Thomas échangea un regard avec son fils. Ces chiffres leur étaient connus depuis vendredi; ils se trouvaient publiés dans tous les journaux de la ville. Peu de personnes du quartier Saint-Louis s’étaient données la peine d’enregistrer leur vote : vingt-cinq électeurs avaient appuyé la prohibition, et seulement onze l’achat libre d’alcool.
    Les habitants de cet arrondissement chic, des notables, entassaient les bouteilles depuis quelques mois. Ces familles sauraient tenir jusqu’à ce que le bon sens revienne aux habitants de la ville.
    * * *
    Les trains en provenance du camp de Valcartier se succédaient à la gare de la rue Saint-Paul. Les hommes en uniforme descendaient sur le quai pour former aussitôt des rangs. Les talons sonnaient sur les pavés. Dans un ordre parfait, les militaires se dirigeaient vers les traversiers. Le havresac gonflé par l’équipement habituel du volontaire, la gamelle oscillant au rythme de la marche, le fusil Lee-Enfield sur l’épaule, chacun gonflait la poitrine. Sur les trottoirs, les badauds présentaient un visage sombre. En ce matin du 13 octobre 1917, tous les journaux du pays reprenaient la proclamation signée par le gouverneur général. Elle invitait les célibataires âgés de vingt à trente-quatre ans à se présenter à l’examen médical. Trois cent mille jeunes gens recevraient une convocation à ce sujet.
    Au moment où la colonne s’engageait

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