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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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secrétaire du Quebec High School for girls un peu plus tôt que d’habitude et tira de son sac de cuir une petite enveloppe. Pendant un moment, elle s’entretint avec la vieille dame. Le cliquetis de la machine à écrire retentit.
    L’élève studieuse regagna ensuite sa classe. Toutes ses camarades et elle, de la « préparatoire », jouissaient d’un traitement enviable. Au nombre de six seulement, leurs tables de travail formaient un arc de cercle devant celle de la directrice, une dame allant maintenant sur ses soixante ans, l’air un peu revêche avec ses cheveux d’un gris métallique ramassés en chignon sur sa nuque. Pendant un an, les grandes jeunes filles potasseraient à leur guise la collection de manuels mise à leur disposition, chacune s’attardant sur les sujets lui faisant craindre un échec lors des examens universitaires du printemps prochain. L’une s’inquiétait du latin, une autre des mathématiques… La seule Canadienne française parmi elles se souciait de tout et ne se désespérait de rien. Elle aborderait l’exercice avec confiance.
    Au moment de sortir, à l’heure du dîner, Thalie remarqua un petit attroupement dans le hall. Le tableau d’honneur avait dû être agrandi afin de faire de la place à tous les volontaires.
    â€” Comme il est beau, commenta l’une des plus jeunes élèves.
    â€” Et très grand, ajouta une autre. Elle ne lui va pas tout à fait à l’épaule.
    â€” Il ne lui ressemble pas tellement…
    L’une des filles regarda dans la direction de la nouvelle venue et attira l’attention des autres à coups de coude. Elles s’écartèrent bientôt en lui adressant un sourire complice.
    Une nouvelle photo montrait un jeune officier en uniforme, la casquette basse sur les yeux, encadré par deux femmes, sa mère et sa sœur. Sous l’image, une bande de papier blanc précisait : « Matthew Picard, 22 nd battalion ». Après l’avoir épelé, Thalie s’était lassée d’insister : le prénom prendrait cette forme anglaise. Elle refusa de compter le nombre de portraits ornés d’un ruban noir et s’en alla en silence.
    Dorénavant, elle partagerait avec une majorité de ses camarades le prix des inquiétudes, des lectures angoissées des comptes rendus des combats dans les journaux, tout comme la crainte horrible de recevoir un télégramme.
    Comme les autres, elle s’exposait maintenant à payer le prix du sang.
    * * *
    Grâce aux excellents services postaux, les convocations tombaient dans les boîtes aux lettres avec une affreuse régularité. L’angoisse s’avérait d’autant plus grande que les journaux rappelaient aux appelés ce qui les attendait peut-être si leurs arguments devant les tribunaux se révélaient insuffisants pour leur valoir une exemption. Le dernier jour d’octobre, le nom d’un nouvel endroit devint familier aux Canadiens : Passchendaele. Leurs compatriotes s’y étaient une nouvelle fois distingués dans le sang et l’horreur.
    Après les entrefilets de la veille, le 1 er novembre, des articles plus détaillés rendirent compte de l’atrocité des événements survenus deux jours plus tôt.
    â€” Cet endroit? prononça Jeanne à voix basse.
    La domestique était descendue quelques minutes plus tôt. Son verre à la main, elle tentait de se souvenir des moments volés au cours de la journée pour lire les journaux.
    â€” Passchendaele?
    â€” Oui. C’est un nouveau champ de bataille?
    â€” Non, il s’agit d’un village en Belgique. Certains journalistes parlent d’une nouvelle bataille d’Ypres, la troisième. Les nôtres se trouvent à cet endroit depuis le début de 1915. Les armées ne progressent pas vraiment, elles sont l’une en face de l’autre depuis le début de la guerre, elles épuisent leurs hommes. Le perdant sera celui qui ne pourra plus recruter personne.
    Sous la direction du lieutenant général Arthur Currie, les Canadiens avaient chassé les Allemands de cette petite agglomération et résisté longuement aux assauts de ces derniers pour la reprendre. Sous une pluie diluvienne, parfois dans la boue jusqu’à la taille, ils avaient combattu, et souvent

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