Le prix du sang
préparer à la lutte imminente avec ces traîtres français : et le plus tôt nous commencerons la bataille, le mieux ce sera pour notre dominion. La Grande-Bretagne doit régner au Canada comme elle règne sur les mers. »
Sans être très nombreux, des textes de ce genre paraissaient avec une navrante régularité. Tout de suite, les journaux nationalistes les reprenaient afin dâériger les Canadiens français en éternelles victimes. Parfois, des analyses plus subtiles esquissaient un portrait de lâopinion dominant la province. FrancÅur en vint à dire :
â Lâhonorable Newton-W. Rowell, ministre dans le cabinet unioniste et président du Conseil exécutif du pays, disait à North Bay, le 6 décembre 1917, lors dâune grande assemblée : « Lâattitude actuelle de la province de Québec peut être causée par plusieurs facteurs. Sans aucun doute, lâagitation persistante menée par monsieur Bourassa et ses associés nationalistes contre la Grande-Bretagne et la France et la participation du Canada à la guerre ont très fortement influencé ses sentiments et son attitude. Et apparemment, la majorité des curés dans lâensemble de la province partagent cette position. Il y a un mouvement nationaliste, clérical et réactionnaire à lâÅuvre dans la province de Québec qui, aujourdâhui, prévaut sur la situation politique dans cette province, et utilise ce moment de grand péril national pour dominer la situation politique dans lâensemble du Canada. »
Le marchand regardait le visage des députés libéraux, largement majoritaires à lâAssemblée. La plupart conviendraient sans doute, après trois cognacs et la promesse que jamais leurs paroles ne seraient répétées, de lâexactitude de ce constat. Toutefois, exprimées à haute voix, de pareilles idées mobiliseraient contre eux la multitude de soutanes dominant la province. Leur carrière prendrait fin le jour même. Plus encore que la conscription, ce poids sur les consciences inquiétait Thomas.
Quand, après son interminable palabre, le député du comté de Lotbinière, un peu essoufflé, reprit son siège, ce fut au tour du chef du Parti conservateur provincial, Arthur Sauvé, député de Deux-Montagnes, de donner la réplique. Son discours, interminable lui aussi, que le président de la Chambre voulut à quelques reprises interrompre en lâaccusant dâêtre « hors dâordre », égratigna certains individus. Les libéraux, lors de la campagne électorale récente, nâavaient-ils pas aussi lancé des déclarations incendiaires? Le premier ministre lui-mêmeâ¦
Thomas regarda lady Gouin à ses côtés. Elle avait une trop longue expérience politique pour tressaillir lorsque son époux encaissait une attaque de ce genre. Au moment où le chef de lâopposition retrouva son fauteuil, le jeune député du comté de Terrebonne, Athanase David, grand et mince, se leva à son tour. Il se permit dâaspirer de longues goulées dâair avant de sâengager dans un marathon verbal.
Inlassablement, lâhomme sâattacha à pourfendre les impérialismes, tous les impérialismes, allemands, britanniques ou américains, pour les dangers auxquels ils exposaient la liberté des peuples. Puis, en trois phrases, il résuma la véritable nature de la divergence entre les Canadiens, selon leur origine, sur la conduite de la guerre.
â Pour les Canadiens anglais, la patrie, ce nâest pas le Canada, le Home est au-delà des mers, dans quelque montagne dâÃcosse ou quelque ville dâAngleterre quâils aspirent à revoir et où ils ont conservé des affinités puissantes. Nous, où que nous vivions, sur les bords de la Gaspésie ou dans les Laurentides, que nous demeurions sur les bords du Saint-Laurent ou dans quelque humble village éloigné des villes, notre patrie à nous, câest le pays où, depuis trois cents ans, ont vécu nos ancêtres, câest le pays où sont nés nos petits-enfants. Notre seule ambition, notre seul espoir, notre idéal suprême, câest dâassurer la grandeur de ce pays.
Assis sur le bout de son siège, Thomas pensa que ce politicien se hisserait peut-être
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