Le prix du sang
à la hauteur de Laurier, un jour. Il en acquit la certitude quand lâorateur proposa de regarder au-delà des difficultés présentes.
â Quand la paix reviendra, lâimpérialisme et le militantisme seront écartés comme des éléments capables de nuire à cette Åuvre de reconstruction matérielle et morale. Câest pourquoi je vous répète avec Wickham Steed : « Il faut dorénavant regarder vers lâavenir et non pas, avec le regret au cÅur, vers le passé. Il faut regarder vers lâaube pour entrevoir le moment où le soleil va paraître et ne pas penser aux soleils qui sont déjà couchés. »
Le front haut, le menton un peu trop fort pour en faire un bel homme, le député regarda autour de lui, désireux de capter lâattention de tous, puis enchaîna :
â Je regarde vers lâaube avec tout mon amour de la patrie canadienne, je regarde cette aube avec tout mon enthousiasme, parce que je crois que le jour nâest pas si lointain que nous le croyons où le soleil, dont les rayons sont nécessaires pour réchauffer lââme canadienne, se lèvera enfin sur notre pauvre pays déchiré, divisé, meurtri. Il ne nous est pas permis de désespérer du soleil de demain. Ce sera celui de la liberté dans le monde, celui qui fera respecter les droits et les obligations réciproques des peuples, celui qui réchauffera lâenthousiasme des individus, celui qui fera oublier par sa splendeur nouvelle les rayons des derniers jours dâangoisse nationale et, réconfortant les âmes, reliera la chaîne des traditions en unissant les cÅurs et les volontés dans un effort commun. Câest alors que montera jusquâau plus haut des voûtes éternelles, et de toutes les maisons canadiennes, un Te Deum dâallégresse entonné par toute une nation prenant conscience enfin de sa force et qui, toutes grandes ouvrant ses ailes, pourra, sans craindre quâil ne lâéblouisse, regarder lâavenir; la nation canadienne sera élevée, lââme canadienne la fera vivre et lâidéal canadien la guidera.
Un tonnerre dâapplaudissements résonna dans la chambre dâassemblée. Sur le parquet, dans les gradins, et même dans les corridors voisins, tous apprécièrent cette évocation dâune ère future où les journaux ne parleraient plus des hécatombes de jeunes vies survenues dans des endroits jusque-là inconnus comme Ypres, Vimy ou Passchendaele.
Le discours sâallongea encore jusquâà lâinterruption des débats pour une pause, afin de donner à tout ce monde le temps de souper, et à lâorateur, celui de reprendre son souffle. Il aurait de nouveau la parole en soirée, pour continuer sur la nécessité de demeurer serein en attendant que lâunivers retrouve enfin son bon sens.
Thomas nâeut cependant pas la patience de revenir à lâHôtel du gouvernement pour entendre la finale. Il préféra rentrer chez lui pour le repas du soir. Au moment où il retrouvait sa place dans la salle à manger, Ãdouard commenta :
â Jâespère que les débats en valaient la peine. Tâabsenter ainsi du magasin, un jeudiâ¦
â Je subis sans doute ta mauvaise influence. Car depuis dix ans, combien de fois tâes-tu esquivé pour aller entendre Bourassa, ou pire, Lavergne?
Le reproche amena un sourire contraint sur les lèvres du jeune homme. Ãlisabeth intervint, soucieuse dâéviter toute parole déplaisante :
â Mais tu ne réponds pas. Cela en valait-il la peine?
â Je nous souhaite que le jeune David devienne un jour premier ministre. Je serais heureux de travailler pour lui.
Cela ne se produirait pas, des politiciens souvent plus ternes, mais rompus aux stratégies partisanes, sâimposeraient à leurs compatriotes.
â Et la motion FrancÅur? demanda son fils.
â Selon ce quâon mâa dit, le débat sera ajourné ce soir, la motion sera bientôt retirée, et plus personne nâen parlera dans deux jours.
â Cela signifie que la rue reprendra ses droits si les représentants du peuple reviennent à leur petite routine.
Cette prédiction-là avait de meilleures chances de se réaliser.
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Malgré les remarques gouailleuses de son employé, Ãdouard
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