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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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que se passe-t-il?
    â€” Il se retrouve dans une cellule du poste le plus proche, jusqu’à ce que l’armée vienne le cueillir.
    Le type interpellé de façon si insultante sortit une feuille de papier pour la tendre au butor. Celui-ci la parcourut en vitesse, puis tendit la main aux deux autres occupants de la table.
    â€” Ce sont toujours des Anglais?
    â€” Le plus souvent. Les Canadiens français refusent de faire un travail de ce genre. Quand ils acceptent, ils préfèrent parler anglais, de toute façon. Comme pour éviter de se faire reconnaître.
    La précaution devait être nécessaire, autrement leur famille et eux seraient soumis à un insupportable ostracisme. Le trio passa à une autre table. La colère et l’exaspération sur le visage, les clients sortaient les uns après les autres leur formulaire d’exemption, ou encore, dans le cas des hommes mariés, montraient leur alliance avec ostentation. Melançon s’exécuta en leur adressant un sourire mauvais.
    â€” Do you have something to say? grogna l’un des agents spéciaux.
    â€” Oui, ce matin j’ai enculé ta femme. Cet après-midi, ce sera le tour de ta mère et de ta fille.
    Le contremaître murmurait ces mots en affichant un faciès neutre. L’autre lui jeta un regard intrigué, outré d’être l’objet d’une moquerie grossière. Ou il trahissait sa connaissance de la langue de son interlocuteur, ou il feignait ne rien comprendre. À l’autre bout de la grande salle, deux garçons se levèrent précipitamment, faisant tomber leur siège sur le sol derrière eux, pour s’élancer vers la porte.
    â€” Get them!
    Les agents se jetèrent à la poursuite des fuyards. Un client eut l’excellente idée de lancer une chaise dans les jambes du dernier d’entre eux, provoquant une chute digne des meilleures cascades des films de Charles Chaplin ou de ceux des Keystone Cops. Spontanément, une salve d’applaudissements et des éclats de rire illustrèrent les sentiments des témoins de la scène. Convaincus d’avoir le dessous si une bagarre éclatait, ils quittèrent les lieux en multipliant les jurons.
    â€” Cela arrive souvent? demanda Édouard en avalant la moitié de son verre.
    â€” Tous les jours. Vous vivez vraiment dans un autre pays si vous ne savez pas cela.
    â€” Mais cela ne donne rien! À peu près tout le monde a reçu son exemption, les rares personnes à qui on l’a refusée ont fait appel de la décision.
    Le marchand le savait d’autant mieux qu’Armand Lavergne plaidait gratuitement la cause de ses clients dans cette triste situation.
    â€” Selon la rumeur, expliqua Melançon, ces gars sont payés d’après le nombre de déserteurs arrêtés. Aussi, parfois, ils poussent bien loin leur loyalisme en s’en prenant aux exemptés. Puis, plusieurs jeunes ne sont pas en règle. Certains ne se sont pas enregistrés au début de l’hiver 1917, fidèles aux recommandations des nationalistes. Ceux-là n’ont pas reçu de convocation, à la fin du mois d’octobre dernier.
    â€” S’ils se font prendre, ce sera l’armée pour le service outre-mer, sans même le droit de demander une exemption.
    â€” Exactement. Il y en a d’autres qui ne se sont pas présentés devant les tribunaux d’exception, car ils craignaient un refus.
    â€” Comme on l’accordait à presque tous, aujourd’hui, ceux-là se mordent certainement les doigts.
    Après coup, cela paraissait une erreur grossière. Toutefois, au début du mois de novembre 1917, personne ne s’attendait à ce que les juges se montrent aussi complaisants.
    â€” Le pire, continuait le contremaître, ce sont tous les gars qui laissent ce foutu papier à la maison. Ils se retrouvent au poste de police, parfois dans une cellule de la Citadelle, avant qu’un membre de la famille ne se pointe avec leur damné formulaire.
    â€” Les hommes mariés montrent leur alliance, tout simplement?
    â€” Cela dépend de l’humeur de ces trous-du-cul. Après tout, n’importe qui peut en acheter une. Les gens bien vêtus, comme vous, ou vieux, comme moi, n’ont aucune difficulté à les convaincre. Toutefois, je ferais mieux de traîner mon certificat de mariage dans ma poche.

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