Le prix du sang
emboîta le pas. Accroupis sur le toit, ils attendirent le troisième larron. Lâun dâeux finit par chuchoter :
â Tu viens?
â Non. Allez-y sans moi, je reste ici. Ces idiots ne me feront pas fuir.
Comment avouer à ces hommes sa peur des hauteurs?
â Allez-y, continua-t-il. Si vous restez là , vous attirerez lâattention.
Ils traversèrent le toit, sâentraidèrent pour grimper sur celui de lâécole. Sans trop de difficulté, ils pourraient se laisser glisser sur un balcon et pénétrer dans le grand édifice. Le temps quâun religieux les découvre, la foule se serait dispersée.
* * *
Dans la rue, le maire poursuivait sa conversation têtue avec la foule turbulente. Ses invitations réitérées à rentrer à la maison ne récoltaient quâune seule réponse, toujours la même : « Donnez-nous les spotteurs! » Les pierres sâabattaient toujours sur les murs, les policiers gardaient leur arme à la main. Tôt ou tard, ces gens risquaient de se lancer à lâassaut, plusieurs seraient tués.
Thomas demeurait près de Lavigueur pour lui offrir un certain support, maintenant flanqué de son fils. à titre de notable connu et, espérait-il, respecté de toutes les personnes présentes, il souhaitait les ramener au calme par sa seule présence. La tension croissante lâinquiétait toutefois, au point où il demanda au magistrat :
â Faites évacuer lâendroit.
â Nous ne pouvons céder à la pression populaire, grommela lâautre. Les pouvoirs publics perdraient toute crédibilité.
â Lâautre choix, câest de défendre les lieux. Dans une heure, ils vont entrer de force, vous aurez des cadavres sur les bras.
La foule se pressait contre eux. Le petit dialogue semblait agacer les gens des premiers rangs. Quelquâun cria encore :
â Donnez-nous les spotteurs!
Le maire échangea quelques mots avec le chef du poste de police. Celui-ci acquiesça très vite, trop vite pour quâon lui fasse confiance, désormais.
â Nous allons évacuer lâendroit, prononça le maire au moment où le capitaine retournait dans lâimmeuble. Je compte sur vous pour respecter ces locaux municipaux après notre départ.
â Les spotteurs?
â Il nây a aucun agent spécial ici, je vous lâai déjà dit.
Ces brutes, espérait Lavigueur, devaient avoir trouvé un moyen de fuir, ou, du moins, de se faire discrètes. Quelques minutes plus tard, leur commandant en tête, les armes soigneusement rangées dans les étuis, les policiers quittaient les lieux sous les quolibets des badauds. Les jours suivants, ils auraient un peu de mal à faire respecter lâordre. à peine eurent-ils disparu dans lâobscurité du soir quâune dizaine de manifestants armés de solides gourdins envahissaient le poste. Ils revinrent un peu dépités.
â Il ne reste personne, clama lâun dâeux aux protestataires.
Les gens commencèrent alors à se disperser.
â Je nâai plus rien à faire ici, déclara Thomas. Autant rentrer à la maison.
â ⦠Merci dâêtre resté, je me sentais un peu moins seul. Vous avez pensé à la politique? Avec votre sang-froidâ¦
Un cri leur parvint en direction de la rue de la Couronne:
â Je le reconnais, câest un spotteur!
Les derniers badauds se précipitèrent vers lâendroit. Lavigueur présenta un visage surpris, au point où Thomas crut nécessaire dâexpliquer :
â Ils étaient trois dans le poste. Je suppose quâils ont mis un uniforme de police afin de sortir discrètement.
â Un seul se trouvait encore parmi les policiers, précisa Ãdouard. Avec une veste trop petite, des pantalons trop courts trop serré, il passait difficilement inaperçu.
â Les autres ont donc trouvé le moyen de sortir dâune autre façon.
Thomas leva les yeux vers le ciel obscur. Juste avant de sâen aller, il conclut :
â Pour la politique, comme je le disais déjà il y a dix ans, jây penserai quand je ne serai plus capable de gagner ma vie. Que ferez-vous maintenant? Les gens ne se calmeront pas facilement.
â Tout à lâheure, le chef de police devait téléphoner au général Philippe Landry, le
Weitere Kostenlose Bücher