Le prix du sang
Ãdouard Picard.
Le nouveau venu posa enfin les fesses sur la vieille couverture, puis commenta dans un soupir :
â Ils mâont ramassé comme un criminel. Ils savent bien que je possède une exemption, je la leur ai montrée de si nombreuses fois.
â Et moi, mon alliance est bien visible.
Comme pour en convaincre son compagnon dâinfortune, de nouveau, il la fit voir.
* * *
à neuf heures, Thomas Picard traversait une foule composée de plusieurs centaines dâhommes massés dans la rue Saint-François. Clémentine le vit passer à dix pieds devant elle. Un moment, elle eut envie de se précipiter vers lui pour demander des nouvelles de son amant. Elle se retint, peu désireuse dâencourir la colère de celui-ci en se manifestant de la sorte. à tout le moins, maintenant, elle ne pouvait plus douter de lâendroit où Ãdouard se trouvait.
Dans lâentrée du poste de police, le commerçant découvrit une douzaine dâagents visiblement nerveux. Un petit homme malingre se tenait devant le bureau, une feuille de papier à la main.
â Vous devez le laisser sortir. Ses papiers sont en règle.
â Vous avez vu tout ce monde dehors. Plus personne ne peut sortir dâici.
â Je suis bien entré, intervint Thomas en cherchant à son tour un document dans la poche intérieure de sa veste.
Le policier laissa échapper un soupir excédé, puis déclara :
â Vous êtes entré, mais nous ne vous laisserons pas sortir. Nous devons assurer la sécurité des habitants de cette ville.
â Commencez par ne plus enfermer des hommes mariésâ¦
â Ou des garçons possédant une exemption, se mêla le père Mercier.
â Mettez une laisse à vos chiens, compléta le marchand en jetant un coup dâÅil vers lâescalier conduisant à lâétage.
Les trois matamores se tenaient dans les dernières marches, la mine moins assurée depuis quâune foule menaçante les attendait dans la rue. Ils venaient de constater que lâarrière de la bâtisse se trouvait tout aussi bien surveillée. Il leur était impossible de sâesquiver en douce.
Le planton allait répliquer quand une première pierre fit éclater une fenêtre du rez-de-chaussée. Dâautres suivirent, parsemant le plancher de verre brisé. Les agents se placèrent le long des murs pour éviter les prochains projectiles. Une voix sonore vint de la rue :
â Libérez les prisonniers!
à ce moment, le chef du poste de police se tenait dans son bureau, pendu au téléphone. Les cailloux atteignirent bientôt les fenêtres de tous les étages, à lâavant comme à lâarrière de lâédifice.
â Les spotteurs, donnez-nous les spotteurs! insista un autre.
Le trio dâagents spéciaux échangea des regards inquiets, puis disparut à lâétage. Thomas déclara encore :
â Vous ne pouvez pas laisser ces garçons dans les cellules. Lâun de ces excités, dehors, risque de mettre le feu à la bâtisse.
Lâallusion à une dégradation de la situation fit pâlir son vis-à -vis, mais il ne paraissait toutefois pas enclin à lui confier les clés. à la fin, le marchand demanda :
â Pouvons-nous aller les voir?
Lâautre lui fit un signe, indiquant une porte au fond de la pièce sans quitter une seconde des yeux la fenêtre défoncée. Les agents tenaient maintenant leur revolver de service à la main, visiblement alarmés.
Thomas passa du côté des cellules et constata quâune dizaine de jeunes gens se trouvaient enfermés deux par deux. Quand il présenta son visage dans lâouverture percée dans la porte du troisième cachot, Ãdouard quitta la couchette.
â Papa, tu y as mis le temps! Quâest-ce qui se passe?
â Des centaines de personnes sont massées à la porte. Elles lancent des pierres, réclament votre libération. Ce sont des amis à toi?
Lâhumour nâeut aucun effet sur le garçon. Inquiet, il demanda :
â Tu as amené mon certificat de mariage? Pourquoi ne nous laissent-ils pas sortir?
â Pour vous protéger, paraît-il. Tous ces gens dehors pourraient vous faire du mal.
â Joseph, Joseph, déclara Mercier en bousculant un peu son compagnon dâinfortune.
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