Le prix du sang
empestait lâair.
Ãdouard fouilla dans sa poche afin de trouver son portefeuille et sortit deux dollars pour les tendre à lâagent.
â Téléphonez à mon père pour lui dire de venir au plus vite avec mon certificat de mariage.
Il indiqua le numéro. En un instant, la porte se referma brutalement. Une petite fenêtre ornée de barreaux de fer laissait entrer un peu de la lumière jaunâtre des ampoules placées dans le corridor. Un long moment, il examina les lieux. à la fin, il se résolut à sâasseoir sur la couchette, tout en se passant la réflexion quâau retour à la maison, mieux vaudrait mettre tous ses vêtements au lavage. La vermine devait pulluler dans la couverture sous ses fesses.
* * *
Clémentine tournait en rond dans le petit salon depuis un long moment, sursautant au moindre bruit dans lâescalier. Un peu après sept heures, elle revêtit son manteau, décidée à retrouver son amant. Celui-ci avait téléphoné pour annoncer sa venue. Dix minutes suffisaient à couvrir la distance. Un pareil retard demeurait inexplicable.
Elle commença par se rendre au magasin PICARD, monta au troisième afin de voir si le jeune homme se tenait derrière la caisse du rayon de vêtements féminins. Une vendeuse recevait les clientes, mais Ãdouard demeurait invisible. Elle nâosa pas se rendre du côté des locaux administratifs afin de pousser plus loin sa recherche.
Sur le chemin du retour vers son appartement, elle vit trois hommes à la mine plutôt patibulaire à la porte du Cercle Frontenac, encadrant un quatrième personnage un peu malingre. Il expliquait :
â Vous mâavez embêté si souvent déjà , vous me connaissez! Je mâappelle Joseph Mercier, un ouvrier de la chaussure. Vous avez vu mes papiers dâexemption au moins dix fois ces dernières semaines.
Un homme le tenait par le bras tandis quâun autre sortait des menottes de sa poche. Plutôt que de risquer un mauvais coup, le travailleur se laissa attacher à un poteau de téléphone. Les spotteurs entrèrent ensuite dans les locaux du Cercle. Dâinstinct, Clémentine leur emboîta le pas. Ils passèrent dans la salle de quilles, achalandée à cette heure, et crièrent en entrant à la douzaine dâhommes sur place :
â Papers! Be quick.
â Pas encore une fois, se plaignit quelquâun.
â Cela prend des enfants de chienne! prononça un autre.
Certains, lassés de ce harcèlement, cherchaient dans leur poche. Dâautres se dirigèrent vers la porte, désireux de fuir, pour se voir fermer le chemin. Les spotteurs tenaient maintenant leur matraque à la main et affichaient un air menaçant. à la fin, de crainte de recevoir un coup, trois autres personnes tendirent les poignets et se retrouvèrent liés les uns aux autres par des menottes. Tout autour, leurs camarades répétaient leurs invectives, les yeux chargés de hargne.
Quand ils revinrent à lâextérieur, ils récupérèrent Mercier pour le joindre aux autres, et conduisirent les prisonniers jusquâau poste numéro trois. Des gens en colère les suivirent. Déjà , quelques dizaines de personnes se tenaient au milieu de la rue. Au moment où les nouvelles victimes entrèrent dans le poste, Clémentine choisit de demeurer sur le trottoir, du côté opposé de la rue Saint-François. Si les pisteurs de déserteurs se livraient à la chasse en cette soirée maussade, peut-être Ãdouard figurait-il déjà à leur tableau.
Quelques minutes plus tard, lâhéritier de la Haute-Ville entendit une clé tourner dans la serrure de la porte de son cachot. Quand elle sâouvrit sur un uniforme, il demanda, empressé :
â Vous avez pu parler à mon père?
â Il ne se trouvait pas à la maison.
â Essayez encoreâ¦
Un jeune homme entra dans cellule, poussé fermement dans le dos, puis la porte de fer se referma dans un claquement sinistre. Il demeura un instant immobile, le temps que le premier occupant des lieux reprenne sa place au bout de la couchette. Ãdouard grommela finalement :
â Asseyez-vous, ne vous gênez pas. Nous profitons de lâhospitalité de la ville.
â Je mâappelle Joseph Mercier, prononça lâautre en tendant la main.
â
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