Le prix du sang
commandant du district militaire, afin de lui demander de lâaide.
â Croyez-vous que des soldats patrouillant les rues vont ramener le calme?
Le ton du commerçant trahissait son scepticisme.
à lâautre bout de la rue Saint-François, le spotteur serait passé incognito avec un peu plus de chance. Toutefois, les policiers tenaient à garder leur distance avec lui, de peur dâattraper un coup. Le premier cri fut suivi de plusieurs autres. Lâhomme détala à toutes jambes et sauta à bord dâun tramway à peu près vide, près de la rue de la Couronne. Des jeunes gens excités, lancés à ses trousses, entourèrent la voiture alors que le conducteur tapait du pied pour faire sonner sa cloche. Au lieu de se disperser, ils commencèrent à secouer celle-ci sur ses ressorts, puis la soulevèrent au point de la renverser.
Quand le véhicule se coucha sur le côté dans un grand craquement, toutes les vitres volèrent en éclats. Les manifestants, étonnés des conséquences de leur propre action, sâécartèrent un peu. Cela laissa le temps à leur proie, cruellement coupée par des éclats de verre, de se glisser par une fenêtre brisée pour se sauver en prenant ses jambes à son cou.
* * *
Le lendemain, 29 mars, le Vendredi saint, les églises se remplirent de femmes convaincues de lâefficacité de la prière pour ramener le calme dans les paroisses ouvrières de la Basse-Ville. Les hommes affichaient un plus grand scepticisme à cet égard. Au moment de la fermeture des ateliers et des manufactures, les plus jeunes paraissaient peu enclins à rentrer à la maison pour le souper.
â Patron, murmura Melançon, venu errer du côté du rayon des vêtements pour femmes, des centaines de personnes se regroupent sur la place du marché Jacques-Cartier.
â Après les événements dâhierâ¦
â Vous ne voulez pas mâaccompagner? Les syndicats seront représentés, tout comme les sociétés catholiques.
â Câest vrai, tu es un militant de la soutaneâ¦
Ãdouard jeta un regard du côté de lâouverture percée dans le mur mitoyen. Son père se trouvait encore dans son bureau. Toutefois, Pâques nâétait pas Noël. Depuis quelques jours, la population préférait la rue aux grands magasins, lâaffluence demeurait donc modeste. Il fit signe à lâune des vendeuses pour lui signifier de prendre le relais derrière la caisse.
Un instant plus tard, les deux hommes marchaient dans la rue Saint-Joseph. Au coin de la Couronne, une foule considérable sâentassait déjà sur la place du marché. Le large espace dégagé permettait aux cultivateurs de stationner leur charrette pendant la journée. Le soir, les pieds dans le crottin, les badauds pouvaient sây masser par milliers.
à lâarrière dâune charrette, debout sur une caisse de bois, un homme haranguait la foule :
â Les spotteurs ne respectent plus les exemptions, ni même le mariage. Sans nous, les personnes arrêtées hier se trouveraient à la Citadelle aujourdâhui et sur un navire à destination de lâAngleterre demain.
Ãdouard ressentit une nouvelle frayeur en entendant ces mots, tout en sachant avoir risqué bien peu : de nombreuses interventions lui auraient permis de retrouver sa famille avant une pareille conclusion.
â Encore ce matin, les journaux conservateurs défendaient la conscription.
â Ils parlaient de nous comme de la racaille, intervint un spectateur.
Il nâen fallait pas plus pour convaincre les manifestants de se mettre en marche en entonnant le à Canada . Le commerçant et son contremaître emboîtèrent le pas aux gens, sâengagèrent dans la côte dâAbraham. à lâhymne des Canadiens français succéda La Marseillaise , une initiative plutôt incongrue puisque la manifestation cherchait à empêcher de se porter au secours de la France.
Une nouvelle fois, les pierres sâabattirent sur les édifices du Chronicle et de lâ Ãvénement , rebondissant sur les contreplaqués fermant les fenêtres. Privés du plaisir dâentendre le bruit du verre brisé, les trois mille hommes retraitèrent en direction du marché Montcalm. Ils renforcèrent un rassemblement déjÃ
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