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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son poste avec la plus mauvaise recommandation de l’histoire du commerce de détail.
    Un moment plus tard, la porte du bureau de direction se referma avec un bruit sec. L’employé recommença à dactylographier son bon de commande, tout en grommelant entre ses dents : « Mon salaud, petit Casanova de merde, le jour où tu aborderas le sujet à nouveau, je t’expliquerai pourquoi ton père ne veut pas d’un jupon comme secrétaire. » Le passage de Marie Buteau dans cette pièce était demeuré dans la mémoire de certains employés, tout comme l’intervention providentielle d’Alfred Picard.
    Tout de même, le secrétaire écrivit le mot « botte » à deux reprises avec un seul « t ». L’échange le laissait fort préoccupé.
    * * *
    Le secrétaire avait eu raison. Les fournisseurs préféraient attendre le retour du patron pour discuter des prix et des quantités à produire. Quant aux autres chefs de rayon, jamais ils ne révéleraient à un jeune blanc-bec devenu leur concurrent les secrets de leurs opérations. Après une demi-journée passée à se tourner les pouces, Édouard regagna à la fois les meubles et les agriculteurs désireux de convoler en justes noces.
    Un peu après six heures, sa bonne humeur proverbiale sérieusement atteinte, le jeune homme passa les portes du commerce pour se diriger vers son automobile. S’apprêtant à tourner dans la rue de l’Église, il aperçut une jeune fille, le front collé à l’une des fenêtres latérales de sa voiture. Une jolie silhouette agissait toujours sur ses états d’âme. Aussi prononça-t-il avec son meilleur sourire :
    â€” Attendez, je vais vous ouvrir, vous verrez mieux.
    Elle sursauta au son de sa voix et porta la main sur sa poitrine.
    â€” Pardon, monsieur. Je ne faisais rien de mal.
    Elle laissait voir de jolies bouclettes sous son chapeau de paille. Ses yeux, d’un brun très pale, devaient jeter parfois des reflets dorés. Surtout, une rougeur bien discernable montait sur son cou et atteignait les lobes de ses oreilles.
    â€” Je sais bien que vous ne faisiez rien de mal. Autrement, je ne vous offrirais pas de vous ouvrir. Si je vous croyais susceptible de tenter un mauvais coup, je partirais en courant pour alerter l’un des terribles policiers de la ville de Québec.
    Sans attendre, l’homme ouvrit la portière avant du côté du trottoir. La curiosité l’emportant sur la timidité, la jeune femme se pencha un peu afin de scruter le tableau de bord en bois soigneusement ciré. En hésitant, elle tendit la main pour la poser sur le dossier de la banquette.
    â€” C’est du cuir, précisa Édouard avec une fierté de propriétaire.
    â€” Je le vois bien.
    Bien que très intimidée, elle demeurait amusée par l’enthousiasme de son interlocuteur. « Un enfant entiché d’un nouveau jouet », pensa-t-elle.
    â€” Je m’appelle Édouard Picard, ajouta-t-il en tendant la main.
    L’inconnue hésita longuement avant d’accepter, puis commenta :
    â€” Je sais qui vous êtes.
    Après un instant, comme elle n’ajoutait rien, il insista :
    â€” Vous ne me dites pas votre nom?
    â€” … Clémentine LeBlanc.
    Un peu plus et elle répondait : « personne ». L’homme libéra la petite main gantée de dentelle, puis continua avec entrain :
    â€” Je vous ai remarquée quelques fois sur les trottoirs. Vous devez travailler tout près.
    â€” Vous êtes observateur.
    â€” Seulement quand je vois de très jolies personnes.
    Le rouge atteignit le sommet des oreilles de la jeune fille. Après un nouveau silence, elle précisa :
    â€” Je travaille à la Quebec Light, Water and Power. Au service de la facturation.
    Â«Â Exactement le genre de personne susceptible de remplacer le foutu secrétaire de mon père », songea son interlocuteur. En même temps, il comprenait combien pareille présence pouvait nuire à la concentration d’un chef d’entreprise. Pour une fois, Édouard se réjouit secrètement de n’avoir aucune responsabilité demandant la mobilisation de toutes ses pensées. Finalement, sa situation présentait des avantages : il pouvait se laisser distraire

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