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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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les ouvrières, les vendeuses ou les commis se seraient montrées enclines à certaines bassesses pour se donner la plus minuscule chance de convoler un jour avec un candidat aussi bien pourvu que celui-là.
    Bien sûr, en ce moment, Clémentine LeBlanc ne songeait guère à des épousailles… Faux! Comme toutes les jeunes filles de son âge habitant la ville de Québec, elle ne pensait qu’à cela, sans toujours en être consciente. Toutefois, mieux valait circonscrire son horizon d’espérances à une courte balade dans une grosse voiture construite à Détroit.
    Quand Édouard ferma la portière avant du véhicule, la déception se peignit sur le charmant visage. La partie était gagnée. Le garçon ouvrit celle de l’arrière et prononça, en s’inclinant bien bas :
    â€” Madame, votre voiture est avancée.
    L’autre gloussa et lissa sa jupe de serge sur ses cuisses avant d’entrer dans l’automobile en se tenant de biais, attentive à donner à ses mouvements toute la modestie requise.
    En faisant le tour de la Buick, le jeune homme s’attarda sur la manivelle récalcitrante afin de démarrer, puis regagna sa place derrière le volant.
    â€” Où Madame souhaite-t-elle aller?
    â€” Je ne sais pas du tout, prononça-t-elle, la voix excitée.
    â€” Je propose donc de prendre le boulevard Langelier afin de regagner la Haute-Ville. Un joli restaurant du quartier Saint-Jean nous permettra de manger un peu. Nous ferons ensuite un petit tour…
    â€” Je ne dois pas rentrer trop tard…
    Ã€ nouveau, une inquiétude pointait dans sa voix. Édouard se retourna à demi pour dire, avec son sourire le plus engageant :
    â€” Si je vous ramène à huit heures précises devant votre porte, cela vous semble-t-il convenable?
    â€” Ce sera parfait.
    â€” Dans ce cas, Madame, adossez-vous confortablement et profitez de mes talents de chauffeur.
    Quand la voiture s’engagea dans la rue Saint-Joseph, Clémentine souhaita se faire toute petite, car on pouvait la voir depuis les trottoirs. Dans la rue Langelier, elle s’inquiéta plutôt de la vitesse du véhicule. Jamais le tramway ne lui avait donné des sensations si grisantes.
    * * *
    Une fois la nouvelle situation apprivoisée, Clémentine LeBlanc se montra enjouée, drôle même. Capable de jouer les prétentieux avec un réel brio si la situation l’exigeait, Édouard savait évoquer le cirque, les kermesses rurales et les spectacles gratuits offerts par la Garde Champlain. Surtout, il commentait volontiers la folie de l’heure : les films maintenant présentés quotidiennement dans trois ou quatre salles à Québec.
    Pendant tout le repas, la conversation alla bon train entre eux. Le restaurant, sis rue Saint-Jean, à l’extérieur des murs de la ville, offrait une cuisine familiale. Des employés d’un statut modeste occupaient la plupart des tables. La jupe de serge, tout comme le corsage boutonné jusqu’au milieu du cou, sans aucune dentelle, sans aucun ruban, ne déparaient guère ces lieux.
    Ã€ sept heures trente, l’homme regarda la montre à son poignet, puis confia d’une voix résignée :
    â€” Si je veux respecter ma parole, nous devons nous mettre en route tout de suite.
    La moindre émotion se manifestait sur le visage de la jeune femme. La déception redessina ses traits. Aussi il enchaîna après une pause :
    â€” Mais vous pouvez toujours retarder un peu l’heure du retour.
    â€” Juste un peu, alors.
    Ã‰douard acquiesça d’un hochement de tête et exprima sa satisfaction par un rire sourd.
    â€” Vous avez une montre-bracelet, remarqua-t-elle.
    Le même constat aurait pu se formuler en d’autres mots : « Vous êtes moderne et riche. »
    â€” C’est plus pratique. Pas besoin de m’arrêter pour chercher dans mon gousset. Vous savez d’où cela vient, l’idée de la mettre là?
    Il leva son poignet pour la lui montrer à nouveau. Le « non » de la tête fit voler les boucles blondes de droite à gauche.
    â€” Le bijoutier Louis Cartier en a eu l’idée, en 1904, pour rendre service à l’aviateur brésilien Santos-Dumont. Cet homme voulait être en mesure de regarder l’heure même aux commandes de son

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