Le prix du sang
côté, sâexposent à un jugement sévère à la plus légère imprudence.
Sur cette conclusion, elle se remit en route, songeuse. Pour rompre le silence devenu trop lourd, Fernand convint encore :
â Vous avez raison, jâen ai peur.
Doucement, il pressa de la main droite les doigts maintenant crispés dans le pli de son bras gauche.
* * *
Pendant tout le souper, les membres de la famille Picard demeurèrent étrangement silencieux, perdus dans leurs pensées. Même les facéties dâÃdouard tombaient à plat. En conséquence, le garçon renonça bien vite à tenter dâégayer ses proches. Eugénie, de son côté, semblait recluse en elle-même. Son père la regarda jouer avec sa nourriture, les yeux abîmés dans la contemplation de la fenêtre en face dâelle. Si elle ne recommençait pas bientôt à sâalimenter un peu mieux, il lui faudrait inviter le docteur Caron à une visite à domicile.
à huit heures, le couple se trouvait dans la bibliothèque. Thomas se versa un double cognac et interrogea son épouse du regard.
â La même chose, en bien moins grande quantité, précisa-t-elle.
Durant des jours comme celui-là , le sherry ne suffisait pas à ramener un peu de sérénité dans son esprit. Un alcool plus fort lâanesthésierait peut-être.
à la seconde où lâhomme se cala dans le fauteuil placé de lâautre côté de la cheminée, elle risqua :
â Maintenant, le sort en est jeté?
Lâespoir sâexprimait par une vague interrogation dans son ton. Lâhomme prit La Patrie placée sur un guéridon, à portée de main, lui montra à nouveau les drapeaux du Royaume-Uni et de la France croisés sur la première page, puis commença à lire :
Londres. Le ministère des Affaires étrangères a publié le bulletin suivant : « à la suite du rejet sommaire par le gouvernement allemand de la requête faite par le gouvernement de Sa Majesté à lâeffet de faire respecter la neutralité de la Belgique, lâambassadeur de Sa Majesté à Berlin a reçu son passeport et le gouvernement de Sa Majesté a déclaré au gouvernement de lâAllemagne que lâétat de guerre existait entre la Grande-Bretagne et lâAllemagne depuis onze heures p.m., le 4 août.
Un silence très lourd suivit cette lecture. Thomas gardait sa tête penchée vers la grande feuille de papier, comme sâil cherchait à mémoriser le texte de la dépêche.
â Mais cela concerne la Grande-Bretagne. De ce côté-ci de lâAtlantiqueâ¦
â Voyons, tu sais bien que câest faux.
â Câest si loinâ¦
Lâhomme choisit de plier le journal en deux afin dâapprocher de ses yeux le bas de la première colonne :
Message royal. Ottawa, 5 â Le message suivant de Sa Majesté le roi a été reçu par le gouverneur général :
« Je désire exprimer à mon peuple des Dominions, au-delà des mers, toute mon appréciation et toute la fierté que jâai ressentie en reçu des sentiments qui mâont été exprimés par leur gouvernement pendant ces derniers jours. Leur offre spontanée de nous aider dans la plus grande mesure mâont rappelé les sacrifices généreux quâils ont déjà faits en faveur de la mère patrie.
Jâaurai plus de courage pour porter la lourde responsabilité qui mâest imposée en sachant que dans ce temps dâépreuve mon Empire est uni, calme, résolu, confiant dans la Providence.
George R. L. »
Après un bref silence, Thomas reprit :
â Tu vois, le prince un peu sot dont tu as attiré le regard par ta beauté, en 1908, nous dit quâil compte sur nous. Et en réalité, toutes ces belles festivités du tricentenaire ne visaient que ceci : rallier les troupes pour lâhécatombe prochaine.
Ãlisabeth acquiesça de la tête, avala une trop grande gorgée de cognac, toussota alors que des larmes lui montaient aux yeux.
â Les Canadiens participeront donc, admit-elle.
â Le premier ministre Borden a déjà évoqué lâenvoi dâun contingent de vingt-cinq mille hommes cet automne.
â Tu crois quâÃdouardâ¦?
Ces quelques mots résumaient
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