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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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n’en ai pas bu encore.
    Elle craignait plus les rots intempestifs que les germes présents dans la bouche de son compagnon, mais ces saucisses enduites de moutarde se révélaient terriblement salées. Une gorgée plus tard, elle rendait la bouteille alors que son compagnon décidait d’évoquer ses souvenirs :
    â€” J’ai vu de mes yeux les Bloomers Girls battre ces gars-là.
    Devant le regard chargé d’incompréhension de sa voisine, il jugea utile de préciser :
    â€” C’était une équipe de femmes!
    â€” Vous savez, pour travailler à la Quebec Light, mieux vaut savoir quelques mots d’anglais. Girls figure parmi ceux que je connais. L’événement ne me paraît simplement pas mériter un pareil enthousiasme.
    â€” … Le baseball est comme l’affrontement stylisé de deux armées.
    Un rire en cascade retentit à ses côtés. Pour retrouver sa contenance, Clémentine lui reprit la bouteille des mains, s’efforçant de ne pas pouffer dans le goulot en buvant.
    â€” Vous n’avez aucune idée de ce que vous allez voir?
    â€” Des hommes avec de drôles de costumes qui poursuivent une balle.
    â€” Pauvre petite. Je dois recommencer votre éducation à zéro.
    * * *
    Une fois n’étant pas coutume, quand Fernand Dupire frappa contre l’huis du domicile de la rue Scott, Édouard vint ouvrir lui-même, après l’avoir fait longuement attendre.
    â€” Sans vouloir te vexer, je m’attendais à un visage plus amène, ironisa le visiteur en lui tendant la main. La domesticité se révolte contre les Picard?
    â€” Si j’ai bien compris, Eugénie a réquisitionné la bonne pour l’aider à revêtir sa plus belle toilette. Tu es la cause de ce branle-bas vestimentaire?
    â€” Je l’ai invitée à souper, mais je n’ai formulé aucune exigence particulière quant à la tenue.
    Le notaire s’était pourtant mis en frais, lui aussi. Son costume de lin d’un gris très pâle et son panama lui donnaient l’air d’un Anglais en vacances.
    Ã‰douard retint ses commentaires narquois, tout à l’excitation de ses dernières lectures.
    â€” Passe un moment dans la bibliothèque. Nous serons en guerre demain.
    La grande pièce lambrissée de noyer donnait sur la rue. Dédaignant le bureau placé près de la fenêtre en baie, les jeunes hommes gagnèrent les fauteuils recouverts de cuir répartis de part et d’autre de la cheminée. Édouard tendit la copie du matin de La Patrie à son ami. Un grand titre s’étalait sur toute la largeur de la première page : « Albion toujours fidèle ».
    â€” Je sais, les titres du Soleil , tout comme ceux de L’Événement , disaient la même chose.
    â€” L’Allemagne menace de s’emparer de la Belgique si le gouvernement de ce pays ne laisse pas le libre passage à ses armées en route vers la France.
    â€” Et le Royaume-Uni entend respecter ses ententes avec ce petit pays, de même que celles qui le lient à la Russie et à la France. Dans ce dernier cas, cela va de soit : voilà dix ans que l’on nous rebat les oreilles avec l’Entente cordiale. Je sais tout cela. L’ultimatum de l’empereur Guillaume se termine ce soir.
    Fernand Dupire lisait les mêmes journaux que son ami, et il en tirait les mêmes conclusions. Selon toute probabilité, tous deux s’éveilleraient le lendemain dans un pays en guerre. Simple colonie, le Canada se trouverait engagé sans avoir à donner son avis. La métropole déciderait pour lui.
    â€” Ton gouvernement va nous engager là-dedans jusqu’au cou, précisa Édouard.
    L’article possessif se trouvait d’autant plus justifié que le fils du commerçant, encore trop jeune, n’avait pas participé au suffrage de 1911, et Fernand, si. De nombreux jeunes Canadiens français membres du mouvement nationaliste favorisaient alors les candidats de l’équipe d’Henri Bourassa, avec l’espoir de lui donner la « balance du pouvoir ». Le résultat se révélait catastrophique : trop peu nombreux, les trois députés élus sous cette bannière ne suffisaient pas à exercer la moindre influence.
    â€” Ta seule réussite a été de chasser Wilfrid

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