Le prix du sang
même.
Une voix parvint alors de lâescalier conduisant à lâétage du commerce.
â Serais-je en retard?
Sans lâcher les mains de sa nièce, la visiteuse se tourna à demi vers Marie.
â Je crois que je suis plutôt un peu en avance.
Elle fixa à nouveau ses yeux dans ceux de Thalie, pressa les doigts fins en lui adressant un dernier sourire, puis rejoignit la propriétaire du magasin, avec qui elle échangea une longue poignée de main. Après un moment, elle sâenquit :
â Nous y allons?
La marchande portait déjà son chapeau et finissait dâenfiler ses gants. Les deux femmes quittèrent le commerce, affrontèrent ensemble quelques sifflets et des regards égrillards. Traverser en diagonale la petite place afin de rejoindre la rue Buade ne prit quâune minute, malgré les tramways, les chevaux et les nombreux véhicules moteurs. Rue Sainte-Anne, Marie retrouva avec plaisir le petit restaurant où, six ans plus tôt, James avait posé des yeux énamourés sur elle. Ce souvenir délicieux lui revenait souvent en mémoire ces derniers temps.
â Nous pourrions manger dehors, suggéra-t-elle.
Une dizaine de tables envahissaient le trottoir. Elles choisirent tout de même de sâasseoir près du mur du commerce. De nombreux hommes en uniforme erraient sur la place dâArmes : les deux jolies femmes, dont lâune en vêtement de deuil, peu désireuses dâêtre dérangées, préféraient sâéloigner un peu de la chaussée.
â Votre commerce semble se trouver entre des mains très compétentes, fit valoir Ãlisabeth en ouvrant le menu.
â Les enfants paraissent être devenus des adultes en quelques semaines. Parfois, cela mâinquiète même un peuâ¦
â Je parlais de vos mains, Marie.
Son interlocutrice releva les yeux et rit franchement avant dâadmettre :
â Vous avez raison. Après trois mois, je constate que les choses vont très bien.
Et encore, elle se montrait modeste. Alfred donnait libre cours à ses engouements, au point dâavoir parfois dans le magasin des robes nâintéressant que lui. La prudence inquiète de la veuve se révélait plutôt bonne pour les affaires.
â Toutefois, les enfants apportent vraiment une aide précieuse.
â Mathieu paraît très mature. Quoique plus jeune de six ans, je le crois déjà plus fiable quâÃdouard.
Lâaveu troublait un peu la belle-mère aimante. Sa compagne murmura, dâune voix à peine audible :
â Le résultat des circonstances de sa naissance, peut-être⦠Il sait.
Lâarrivée dâun serveur les força à abandonner le sujet, le temps de passer la commande. Quand il sâéloigna, Ãlisabeth répondit tout aussi discrètement :
â Thomas me lâa dit, le jour du départ de lâ Empress ⦠Cela présente-t-il une difficulté pour lui?
â Pas que je sache. Vous le constatiez vous-même, ce garçon est mature, parfois un peu trop à mon goût. Depuis quelques mois, il paraît déterminé à jouer un rôle paternel auprès de sa sÅur et elle nây trouve rien à redire, bien au contraire.
â Câest plutôt charmant.
« Si des rapports de ce genre prévalaient entre Eugénie et Ãdouard, ma vie se trouverait tellement plus simple », songea la jolie blonde.
Marie détourna son attention un moment afin de saluer des commerçants actifs dans les rues de la Fabrique et Buade, assis à une table voisine. Les vêtements de deuil, sévères, ne diminuaient en rien sa beauté. Son nouveau statut de veuve lui valait un regain dâattention de la part des messieurs affligés de la perte dâune conjointe, mais aussi de celle dâhommes toujours nantis de la leur, mais rêvant dâun peu de variété.
Elle revint à son sujet de préoccupation :
â à certains égards, leur complicité devient un peu menaçante. Mathieu mâa présenté le plus beau plaidoyer pour me convaincre dâenvoyer sa sÅur au High School.
â Une école protestante? La chose fera sourciller certains, mais comme elle vous aide au commerce, la présence des touristesâ¦
â Câest exactement la raison invoquée par mon fils. Elle aurait pu aller
Weitere Kostenlose Bücher