Le prix du sang
admiratif souligna lâapparition des premières images mouvantes, très vite suivies dâun «Oh! » horrifié. Déjà , les actualités filmées de Pathé montraient les farouches combats se déroulant en Europe.
â Câest trop horrible, sâécria Clémentine après avoir poussé un petit cri.
Sa frayeur avait quelque chose de bon. Sa main gauche chercha celle du jeune homme. Elle enfouit son visage contre son cou afin de ne plus rien voir. Ãdouard prit les petits doigts dans les siens et se déplaça un peu afin de lui faire de la place contre son flanc.
â Les sales Boches, on les aura! brailla quelquâun dans le fond de la salle.
â On nâa rien à craindre des Allemands, répondit un autre. Ce sont les Anglais qui ferment nos écoles en Ontario.
Le jeune homme reconnut lâun des arguments avancés par Henri Bourassa et Armand Lavergne. Adopté en 1912 dans la province voisine, le Règlement 17 rendait lâenseignement en français presque inaccessible. Peu enclins à aller combattre en Europe, les Canadiens français opposaient volontiers un « Nos écoles et nos droits » sonore aux efforts de recrutement militaire.
Quand les scènes de guerre disparurent de lâécran, Clémentine se redressa et tenta de récupérer sa main sans trop insister, mais Ãdouard la garda en otage entre les siennes sans exercer trop de contrainte. Elle abdiqua bien vite.
Lâabandon dâune partie â bien petite et peu compromettante â de son anatomie se trouvait encouragé par le contenu du film lui-même. Dâabord, comme il mettait en scène les premiers chrétiens confrontés aux persécutions de lâempereur romain Néron, le sujet devait rassurer le confesseur le plus sévère. Ensuite, lâhistoire évoquait lâamour dâun patricien, Vinicius, envers la belle et pauvre chrétienne Eunice. En termes plus contemporains, un homme de la Haute-Ville un peu mécréant venait au secours dâune employée à la facturation de la Quebec Light bien catholique habitant le quartier Saint-Roch.
En conséquence, la jeune fille ne sâinquiéta pas trop. Quand il commença à tirer sur le bout des doigts de son gant gauche, pour le lui enlever lentement, elle voulut protester, mais nâosa pas. Pendant quelques minutes, il parcourut toutes les phalanges fines du bout de son index gauche, sâattarda entre elles.
Quand la pauvre Eunice risqua fort de servir de goûter à un lion féroce, Ãdouard saisit le petit poignet, tira jusquâà pouvoir poser ses lèvres sur la paume tiède et continua de la caresser de baisers légers. Clémentine voulut fuir; elle désira encore plus fort se lover contre son compagnon. à la fin, en guise de compromis, elle ne bougea tout simplement pas et abandonna toute sa menotte, des ongles à lâintérieur du poignet, au patricien de la Haute-Ville.
* * *
La fin de soirée sâavérait plaisamment fraîche, après une journée étonnamment chaude pour un début septembre. Deux heures sur les mauvais sièges du Théâtre des familles rendaient agréable la petite marche en direction de la maison de chambres de la rue Sainte-Marguerite. Clémentine, fort songeuse, tenait le bras de son compagnon du bout des doigts, tout en prenant bien garde dâappuyer son épaule contre lui. Aucune jolie fille ne dépassait lââge de la puberté sans sâexposer à des jeux de mains. Dans ces cas-là , toutes savaient quelle attitude adopter : raidir tous les muscles, élever la voix et fustiger lâinsolent. Toutefois, cela valait-il pour des caresses sur les doigts, la main et le poignet?
Ãdouard nâagrippait pas, nâessayait pas de sâinsinuer dans les «mauvais endroits». Son toucher demeurait léger, ses lèvres douces, sa voix apaisante. Lâeffet se révélait troublant⦠au point que la fin du film, pourtant interminable, lâavait déçue.
â Ãtes-vous toujours aussi soucieuse dâéviter de faire jaser vos voisines de la maison de chambres?
La question sâavérait ridicule. En début de soirée, le jeune homme avait sonné à sa porte et parlé un peu avec la propriétaire. La ruse lui échappa, pourtant.
Le bras du jeune homme passa
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