Le prix du sang
au couvent catholique fréquenté par les Irlandais, tout simplement. Vous parlez de sourcillements. Les parents qui placent leurs enfants dans une école protestante risquent tout simplement lâexcommunication!
Vivant, Alfred aurait mené une véritable croisade à ce sujet, pour se trouver vraiment chassé de lâÃglise. Dans certaines circonstances, les stratégies de son épouse pouvaient être plus efficaces.
â Alors?
Le serveur arriva avec le premier service. Marie avala un peu de potage avant de reprendre.
â Elle ira au High School parce quâelle y tient. Ce seul motif me suffit amplement. Jâai donc assiégé un vieux chanoine de lâarchevêché, évoqué mon veuvage, ma responsabilité de mâoccuper de mes enfants et mon désir de les voir participer à la prospérité du commerce afin dâassurer leur avenir. Mon insistance, mes larmes et la promesse quâune fois par semaine elle rencontrerait un conseiller spirituel catholique ont attendri le vieux prêtre. Mais tout cela, câétaient des mensonges. Thalie ne passera pas sa vie adulte à vendre des dentelles. Câest Alfred, avec un jupon.
â Ce qui la rend plus fascinante encore.
Les enfants occupèrent de longs pans de la conversation, mais bien vite, la situation internationale sâimposa. Les jeunes soldats oisifs sur la place dâArmes, allant ou revenant de la terrasse Dufferin, ne permettaient guère de lâoublier. Au moment de quitter le restaurant, Marie commença :
â Je suis heureuse de vous avoir rencontrée. Il ne me reste plus guère dâoccasion de sortir du commerce⦠et en plus, jâhabite à lâétage!
â Jâaimerais bien recommencer. Mâautorisez-vous à vous inviter de nouveau?
â ⦠Oui. Je vous remercie aussi de ne pas me parler de lui.
Elle voulait dire : de Thomas. La scène du cimetière figurait parmi ses plus mauvais souvenirs.
â Je comprends très bien vos sentiments, je nâai aucun droit dâessayer de les changer. Cela restera toujours une blessure pour vous, un sujet de honte pour lui, et même pour moi.
Le sourire de Marie se crispa un peu. Son interlocutrice continua :
â Cependant, rien ne se dresse entre nous⦠Du moins, je lâespère.
â Non, rien du tout.
Ãlisabeth posa une main sur lâépaule de la veuve, serra un peu les doigts et se pencha pour embrasser la joue. Aucun militaire nâeut le mauvais goût de formuler une remarque déplacée ou de siffler.
* * *
Alors que les salles situées dans la Haute-Ville présentaient volontiers des spectacles en anglais, depuis la fin du siècle dernier, le quartier Saint-Roch accueillait des troupes de théâtre françaises. Si des incendies ou des faillites entraînaient la disparition soudaine de certains établissements, dâautres naissaient bien vite pour les remplacer. Il sâen trouvait quatre dans la seule rue Saint-Joseph.
Toutefois, après 1910, la présentation de « vues animées » supplanta la présence de comédiens en chair et en os.
â Vous croyez que câest recommandable? questionna Clémentine une nouvelle fois.
Les journaux catholiques, tout comme les prédicateurs et les confesseurs, donnaient volontiers une image sulfureuse du cinéma. La présence de personnes des deux sexes, entassées dans une salle obscure, autorisaient toutes les craintes. Parmi les innovations venues de lâAmérique corrompue, celle-là paraissait la plus susceptible dâébranler la morale des Canadiens français. En conséquence, une jeune fille soucieuse de sa réputation sây aventurait avec prudence.
â Voyez vous-même : Le Théâtre des familles. Si jamais lâaimable curé Buteau jugeait cela condamnable, il ne le tolérerait pas si près de son église. Pensez donc, abandonner lâinstitution à la base de la civilisation catholique sur ce continent à lâinfluence délétère des « petites vues »! Le prêtre de choc de la Basse-Ville lâempêcherait.
La jeune fille pinça les lèvres devant le petit discours ironique. Sans bien comprendre le sens de tous les mots prononcés, entendre son compagnon railler lâoccupant de lâimmense presbytère en réfection Ã
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