Le prix du sang
pièce lambrissée de noyer, elle lui désigna lâun des fauteuils près de la cheminée et sâapprocha dâun petit meuble en demandant :
â Je peux vous offrir quelque chose à boire?
â ⦠Si vous mâaccompagnez.
â Je prendrais volontiers un porto.
â Dans ce cas, un whisky⦠sans rien ajouter.
Eugénie lui tendit un verre avant de sâasseoir dans le second fauteuil. Alors que son compagnon avalait la moitié de sa boisson dâune lampée, elle lissa le tissu de sa robe sur ses cuisses. Fernand contempla un moment le visage très pâle, les cheveux dâun blond un peu fade noués sur la nuque.
â Acceptez-vous de mâépouser?
Puis, il sâempressa dâajouter :
â Je mâexcuse de demander cela de but en blanc. Je suppose quâil existe des usages en la matière, mais je ne les connais pas.
â Ma belle-mère pourrait vous le dire. Je suis aussi néophyte que vous. Personne ne mâa jamais posé la question.
Elle marqua une pause, avala la meilleure part de son verre de porto, puis prononça enfin dâune voix mal assurée :
â Oui, jâaccepte⦠avec plaisir.
Dans un mois, jour pour jour, ce serait son vingt-cinquième anniversaire. Ou elle se mariait très vite ou elle compterait parmi les personnes célébrées lors de la prochaine Sainte-Catherine. La poitrine de Fernand se dégonfla lentement. Aucun prétendant, après avoir reçu une réponse positive à cette question, ne devait demeurer calé dans un fauteuil, à cinq pieds de lâheureuse élue.
Tous deux se levèrent en même temps et parcoururent chacun la moitié de la courte distance les séparant. Les mains de lâhomme se posèrent sur la taille fine et ses lèvres sur la bouche un peu crispée. Le contact nâémut ni lâun ni lâautre. En allait-il de même chez tous les couples, en pareille circonstance? Le poids des émotions anesthésiait sans doute les sens.
Ils reprirent leur place. Eugénie posa ses mains dans son giron pour demander :
â Avez-vous songé à une date?
â Pas vraiment, mais nous avons tellement attendu⦠Quâen pensez-vous?
â Vous me feriez un grand plaisir si la cérémonie se déroulait avant le 23 octobre. Câest un vendredi.
La surprise laissa Fernand bouche bée. Comment expliquer un empressement aussi soudain? Son regard se porta furtivement sur la taille de sa⦠promise. Se pouvait-il quâencore une fois?⦠Non, pareil soupçon frisait le ridicule.
â Que penseront les gens dâune pareille hâte?
â Les gens nous voient ensemble un jour sur deux depuis trois mois. Tous savent que nous nous connaissons depuis lâenfance. Ils penseront sans doute que nous avons bien tardé⦠ce dont je suis la seule responsable, jâen conviens.
Pourquoi lui expliquer lâimportance de devancer un peu ses vingt-cinq ans? Au contraire, cette coquetterie lui paraissait trop puérile pour lâétaler.
â Si je compte rapidement, commença son compagnon, le samedi 17 octobre serait le plus opportun. Cela donne un peu plus de trois semaines. LâÃglise devra accorder une dispense pour la publication des bans.
â Mais nous le savons tous, votre père bénéficie dâun accès facile au palais cardinalice. Cela ne lui posera certainement aucune difficulté.
â Un délai aussi court rend impossible la tenue dâune grande cérémonie.
â Jâaccepte avec joie de vous épouser, mais je vous demande encore une faveur : une célébration discrète, puis une réception se limitant à la famille immédiate, dans cette maison ou dans celle de vos parents.
Les mariages à la sauvette tenaient souvent aux privautés entre les fiancés. Dans ces cas, les commères scrutaient leur calendrier et comptaient les jours entre la cérémonie et la première naissance. Encore une fois, le jeune homme secoua la tête pour chasser le soupçon tenace.
â Vous savez, insista Eugénie, de mon côté, la famille se réduit vraiment à mes parents et à Ãdouard. Mon seul oncle, Alfred, a été enterré en juin. à part cela, jâai des cousins et des cousines que je reconnaîtrais difficilement si je les croisais dans la rue.
â
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