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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fragile.
    â€” Maintenant, je sais qu’il a lu tous mes mots…
    Quand elle posa de nouveau ses grands yeux dans ceux de son frère, le garçon dut mobiliser toutes ses forces pour ne pas éclater en sanglots.
    â€” Tu crois que je pourrai la mettre dans son cercueil, près de son cœur? questionna-t-elle d’une toute petite voix, comme dans une prière.
    â€” Son navire a sombré. Parfois, les corps restent enfermés dans la coque…
    â€” Hier, il sentait la vase…
    Mathieu essaya de dire quelque chose, s’étrangla et, après une bataille perdue pour retrouver sa contenance, se précipita hors de la chambre. Le nouvel homme de la maison partageait maintenant les lieux avec des femmes à propos desquelles le mot « faibles » collait plutôt mal.
    * * *
    Perdre un membre de sa famille se révèle toujours difficile. Quand le cadavre demeure introuvable, cela le devient encore plus. Cent fois par jour, on se dit que la personne aimée a peut-être pu nager jusqu’à la rive. Après tout, l’ Empress of Ireland avait sombré à peu de distance de la côte sud du Saint-Laurent. Après avoir germé dans un cœur, cet espoir se refusait à mourir, même si le passage des jours rendait l’hypothèse de moins en moins plausible.
    â€” Mais il peut tout aussi bien avoir perdu la mémoire, insistait Marie.
    Les enfants avaient regagné leur chambre, seule la domestique l’accompagnerait lors de cette nouvelle nuit sans sommeil. Les deux femmes se trouvaient accoudées à une petite table placée contre un mur de la cuisine.
    â€” Voyons, soyez raisonnable, prononça Gertrude d’une voix rendue plus bourrue encore qu’à l’habitude par l’émotion.
    â€” Peut-être erre-t-il dans les rangs de Pointe-aux-Pères, sans même se souvenir de son propre nom?
    La domestique n’osait plus rien répondre, se souvenant avoir vu cette femme chercher dans les manuels de géographie des enfants les noms des villages situés près de Rimouski. D’instinct, la jeune veuve retenait les noms les moins communs. Même privé de ses sens, son grand escogriffe de mari préférerait toujours errer dans un village au nom pittoresque plutôt que dans ceux affublés du ridicule patronyme d’une sainte ou d’un saint.
    Les journaux eux-mêmes entretenaient des espoirs de ce genre en signalant des hommes ou des femmes hagards et dépenaillés rôdant sur les battures du bas du fleuve. Très vite toutefois, les endeuillés accourus sur les lieux avec une folle espérance en tête constataient que les campagnes demeuraient affligées de leur part de mendiants qui, en d’autres circonstances, demeuraient invisibles aux journalistes des villes.
    La femme n’allait pas au bout de ses pensées les plus sombres. Parfois, elle imaginait un Alfred bien vivant, doté de toute sa mémoire, heureux de se faire passer pour mort afin de mettre fin au grand mensonge de son existence conjugale.
    â€” Vous ne devriez pas dire des choses semblables, fit Gertrude en quittant sa chaise pour aller mettre de l’eau à bouillir. Pas même les imaginer. Déjà que la petite… continua-t-elle entre ses dents.
    Le fol espoir de Marie troublait autant la domestique que l’acceptation silencieuse de Thalie. Assez curieusement, alors que la disparition de son père lui déchirait le cœur, l’adolescente présentait le visage d’une personne sachant apprivoiser la vérité. De sa voix douce, elle répétait : « Il est noyé, son corps se trouve sur la vase, dans les joncs. » La lenteur des équipes de recherche à le trouver ajoutait à la peine de la gamine.
    Cette conviction étrange inquiétait sa mère. Néanmoins, outre cette idée fixe, rien ne laissait croire que l’adolescente ne jouissait pas de tous ses esprits. Aussi Marie s’était retenue de faire venir le docteur Caron.
    Les journées passées à faire fonctionner le commerce se déroulaient assez bien. Seuls les vœux de sympathie des clientes et des voisines, pour la plupart sincères, la replongeaient dans sa morosité pendant un moment. La nuit venue toutefois, quand le travail quotidien ne permettait plus de canaliser le cours de ses pensées, ses inquiétudes revenaient, plus

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