Le prix du sang
rejoindre le service aux chambres, Fernand regarda son épouse sâasseoir sur le bord du grand lit et enlever ses gants. Lâintimité de ce geste le troubla profondément : il passa sa commande tout en essayant de dissimuler son érection.
Plus tard dans la soirée, une fois le plateau de victuailles vide placé près de la porte, dans le corridor, tous deux restèrent un long moment debout au milieu de la pièce, face à face.
â Vousâ¦
Fernand se corrigea tout de suite.
â Tu y vas la première?
Il parlait de lâutilisation de la salle dâeau. Elle acquiesça, fouilla dans sa valise un moment, puis disparut. Lâhomme se débarrassa de ses chaussures, sâinquiéta de lâodeur, posa sa veste sur un cintre, sa cravate sur le dossier dâune chaise. Ensuite, assis sur le lit, il sâefforça sans succès de ne rien entendre des bruits dans le réduit voisin.
Eugénie réapparut une demi-heure plus tard, rougissante dans une chemise de nuit blanche lui allant aux chevilles, ses cheveux blonds épars sur ses épaules, ses pieds nus sur la moquette. Elle alla accrocher sa robe dans la penderie et se trouva en contre-jour : la lampe dessina un court moment sa silhouette.
â Vous⦠tu es vraiment belle.
La jeune femme se tourna vers lui, hésita un moment.
â Merci.
Fernand ne sut comment enchaîner. Aussi se réfugia-t-il à son tour dans la salle dâeau. Quand il la rejoignit un peu plus tard dans le lit, profondément intimidé, son épouse ne se laissa guère attendrir par son extrême gaucherie. Son corps massif se lova contre celui, tellement frêle, de sa compagne. Ses lèvres se perdirent sur la joue gauche, cherchèrent lâautre bouche dans lâobscurité alors quâune de ses grosses mains remontait du ventre jusquâau sein droit. Eugénie raidit tout son corps et garda ses bras à plat sur le matelas.
Quand lâautre bouche toucha la sienne, quand les larges doigts se crispèrent un peu sur son mamelon, toute sa force suffit à peine à supprimer le cri naissant dans sa gorge.
â Je ne sais pas⦠finit par avouer lâhomme dâune voix haletante.
Sans un mot, et avec une certaine rage, elle sâactiva, releva sa robe de nuit jusquâà sa taille et écarta les cuisses. Décontenancé, Fernand demeura immobile un long moment. La lumière de la lune entrait par la fenêtre, éclairait un visage figé, des lèvres et des paupières closes. Les « joies légitimes du mariage » dont parlaient les conseillers spirituels et confesseurs du Petit Séminaire lui parurent soudainement sous un jour lugubre. Si Eugénie paraissait résignée à accomplir son devoir, ce ne serait pas avec plaisir.
Dans une ville comme Québec, personne ne pouvait ignorer les détails de lâaccouplement. Tous les adolescents jetaient des regards troubles aux chiens sâagitant lâun sur lâautre dans les cours. Parfois, les journaux relataient lâhistoire de chevaux attelés à des fiacres ou de voitures de livraison devenus incontrôlables. Ils laissaient des blessés, parfois des morts sur le pavé. Même si le motif de cette agitation soudaine demeurait secret, chacun comprenait entre les lignes quâune jument en rut devait se trouver dans les parages. Ce savoir se révélait toutefois étrangement inutile au moment propice, devant une personne que, jusque-là , on avait toujours vue vêtue des orteils au cou, le plus souvent avec, en plus, des gants et un chapeau.
Lâétonnement passé, Fernand troussa sa chemise de nuit à son tour, déplaça sa masse au-dessus de sa compagne et frotta son bas-ventre contre le sien en ahanant, sâétonnant du contact des poils. Après de nombreux coups de butoir portés contre son abdomen et le haut de ses cuisses, un peu écrasée par la lourdeur de son compagnon, Eugénie se décida à écourter lâexpérience. Dâune main impatiente, elle saisit le sexe turgide et essaya de le diriger vers sa vulve. Au premier frottement contre ses lèvres toujours sèches, un liquide gluant se déversa dans son entrejambe et lui colla les doigts.
Dans un râle, lâhomme sâimmobilisa, passant de lâexcitation au plus grand malaise, chercha les mots appropriés à la
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